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Christchurch (encore et enfin) | à hauteur de murs

un dernier regard

jeudi 10 avril 2025


Janvier - juin 2025 : remonter le cours du monde par l’est.

— Le sommaire

 #1. Bangkok, ville furieuse
 #2. Ayutthaya & Sukhothai, ruines de ruines
 #3. Chiang Mai & Chiang Rai, vestiges du Lanna
 #4. Descendre le Mékong
 #5. Luang Prabang, d’or et de cendres
 #6. Nong Khiaw & Muang Ngoi, où va le nord Laos
 #7. Ban Phong Van, sources de l’or blanc
 #8. Xieng Maen, de l’autre côté
 #9. Kuang Si, ce qui tombe
 #10. Le Tak Bat, d’aubes en aubes
 #11. Vang Vieng, refuge de far-east
 #12. Vientiane, capitale intempestive
 #13. Les Quatre Mille Îles, et davantage de ciels
 #14. Champassak, à la lune recommencée
 #15. Phimai, perspectives futures du passé
 #16. Dans la jungle de Khao Yai, fragments sauvages
 #17. Bangkok, derniers feux
 #18. Sydney, dans les reflets, la ville dressée
 #19. De Sydney à Melbourne, la Ligne Bleue
 #20. Melbourne, ville sans promesse
 #21. De Melbourne à Adélaïde, The Great Ocean Road
 #22. Adélaïde, lenteurs et effacements
 #23. Vers la Nouvelle-Zélande, enjamber le Pacifique
 #24. Christchurch, sous le ciel renversé
 #25. Akaora, échouée à l’horizon
 #26. Taylors Mistake, sauf erreur
 #27. Hanmer Springs, la brume et l’échappée


De Christchurch, s’enfoncer dans les rues relevées sur leurs ruines, lever les yeux vers les visages peints sur les murs de Central Ward, et dans le tremblement des pierres neuves, le calme vengeur des regards restés, sentir quelque chose du monde s’ouvrir, tomber, persister.

Marcher encore au milieu des échafaudages, des palissades, de ce béton trop neuf qui ne cache rien, et surtout pas l’absence. Lire sur les façades les lignes de faille comme des phrases incomplètes, graffitées, repeintes, recouvertes puis réapparues. Sous chaque mur, une mémoire compressée — ce qui a tenu, ce qui n’a pas tenu.

Ici, les murs parlent à hauteur d’homme, ou bien plus haut, là où les visages géants nous regardent sans un mot. Des femmes peintes sur la brique rouge, la fougère tressée dans les cheveux, les paupières levées pour ne rien oublier. D’autres encore, yeux clos, lèvres entrouvertes, portants les noms de celles qu’on efface moins qu’on recouvre. L’art n’orne pas : rappelle.

Et plus loin, le chantier figé de la cathédrale tendue de bâches et de poutres — squelette provisoire pour édifice en attente de lui-même. On ne rebâtit pas une ville : on vit avec ce qu’elle est devenue. Christchurch a renoncé à reconstruire, invente dans les brèches.

À chaque pas, ce que le sol sait de nous. Que la terre peut plier, s’ouvrir, secouer la foi. Que tout peut trembler sauf la lumière. Que rester n’est pas tenir — c’est apprendre à marcher sur le vide.

Et dans cette dernière marche, entre deux visages sur un mur, sentir l’adieu se faire, non pas dans la parole, mais dans le pas qui ralentit, dans l’ombre portée des choses aimées. Partir, laisser derrière soi cette trace fine, presque rien ; l’ombre de son ombre avalée par le soir. Demain, l’autre bord du Pacifique

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