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New Brighton Pier | Quelques pas vers le large
que la mer emporte
lundi 7 avril 2025

Janvier - juin 2025 : remonter le cours du monde par l’est.
— Le sommaire
– #1. Bangkok, ville furieuse
– #2. Ayutthaya & Sukhothai, ruines de ruines
– #3. Chiang Mai & Chiang Rai, vestiges du Lanna
– #4. Descendre le Mékong
– #5. Luang Prabang, d’or et de cendres
– #6. Nong Khiaw & Muang Ngoi, où va le nord Laos
– #7. Ban Phong Van, sources de l’or blanc
– #8. Xieng Maen, de l’autre côté
– #9. Kuang Si, ce qui tombe
– #10. Le Tak Bat, d’aubes en aubes
– #11. Vang Vieng, refuge de far-east
– #12. Vientiane, capitale intempestive
– #13. Les Quatre Mille Îles, et davantage de ciels
– #14. Champassak, à la lune recommencée
– #15. Phimai, perspectives futures du passé
– #16. Dans la jungle de Khao Yai, fragments sauvages
– #17. Bangkok, derniers feux
– #18. Sydney, dans les reflets, la ville dressée
– #19. De Sydney à Melbourne, la Ligne Bleue
– #20. Melbourne, ville sans promesse
– #21. De Melbourne à Adélaïde, The Great Ocean Road
– #22. Adélaïde, lenteurs et effacements
– #23. Vers la Nouvelle-Zélande, enjamber le Pacifique
– #24. Christchurch, sous le ciel renversé
– #25. Akaora, échouée à l’horizon
– #26. Taylors Mistake, sauf erreur
– #27. Hanmer Springs, la brume et l’échappée
Sur le New Brighton Pier, le ciel s’ouvre immense, sans ligne, sans fin — et la mer invente son rythme qui bat sans mesure. Les vagues meurent comme elles savent le faire, en silence fracassé soulevant cette brume qui efface l’horizon. L’automne d’avril aura cette image : un pont qui s’avance dans le vide, des corps suspendus à l’écoute, et tout le tremblement.
On est à l’est de Christchurch, face à l’océan Pacifique. La ville s’adosse aux terres basses de Canterbury ; devant, le vide d’eau jusqu’à l’Amérique du Sud. Le pier est là, comme une offrande de béton jetée dans la mer — cent mètres de solitude plantée droit dans les vagues. L’ouvrage date de 1997, reconstruit sur les ruines d’un ancien pont en bois centenaire mangé par les années, la rouille, le sel. Depuis, il est devenu un repère, une esplanade populaire, un point de fuite pour les promeneurs, les pêcheurs, les solitudes et leurs regards.
Mais ce pont n’est rien — une écharde dans la surface. Il vibre au moindre coup de vent. Sous lui, les courants tournent comme des pensées sombres. La terre aussi bouge. Ici, on vit avec la certitude du tremblement. Les séismes de 2010 et 2011 ont blessé Christchurch au cœur — des rues entières disparues, la cathédrale éventrée, le sol fendu comme une peau trop tendue. Le New Brighton Pier a tenu, à peine et pour combien de temps ? Depuis, on regarde la mer autrement. On sait ce qu’elle peut reprendre. On connaît ses colères froides. Le mot tsunami n’est plus une fiction : il est inscrit sur les panneaux, les cartes d’évacuation comme dans les rêves des enfants.
Avant cela, bien avant les cartes et les colons, les Ngāi Tahu vivaient ici. Ces plages s’appelaient Koukourarata, Ōtākaro, Te Karoro. Elles accueillaient les campements, les échanges, les pêches saisonnières. La mer n’était pas ce décor — elle nourrissait, liait les îles, les histoires, les ancêtres ; elle était tout et plus encore. Aujourd’hui, sous le béton du pont, plus rien ne veille que des vagues échouant à mordre la terre.
On vient là respirer, oublier, ne plus penser. On vient voir l’eau continuer sans nous, comme si rien n’avait d’importance. Et c’est peut-être vrai. Ce pont, nos gestes, nos peurs — tout ça passera. Il restera ce mouvement vaste, indifférent, ce vent qui ne porte rien que lui-même. Et cette lumière nue qui traverse tout, même le doute.
Face à la mer, on ne sait plus très bien ce qu’on cherche. On regarde, on se tait. On mesure à peine ce qu’on est : une poignée de chair posée sur du sable mouvant à peine tolérée. Rien ne dure. On reste là. Parfois, il suffit de quelques pas vers le large pour se rappeler que la vanité des choses n’a pas à être combattue, seulement regardée, calmement, jusqu’à ce qu’elle se dissolve dans la lumière.





























