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Où l’on enterre les morts | Marseille, Saint-Pierre et l’envoûtement d’Artaud

cet envouté éternel etc. etc.

vendredi 2 février 2024


Le 4 mars 1948, sur la dernière page de son 406e cahier noirci de dessins et de mots, de sorts et de crachats, de ce qu’on ne peut pas lire, de trous faits avec la pointe du crayon comme on voudrait percer les apparences, de silences aussi, Antonin Artaud avait écrit :

« Le même personnage revient chaque matin accomplir sa révoltante criminelle et assassine sinistre fonction qui est de maintenir l’envoûtement sur moi, de continuer à faire de moi cet envoûté éternel etc. etc. »

On retrouvera son corps immobile à côté de ce cahier, de ces mots.

Longtemps après, il fait très beau sur Marseille et le cimetière Saint-Pierre étale son évidence. Les cadavres sont allongés les uns à côté des autres sagement comme s’ils attendaient. Les rues sont désertes, la ville de l’autre côté continue sans doute son hurlement de forcené, tout est à sa place. Il faut marcher longtemps dans ces artères asséchées ; se laisser guider par le hasard n’aide pas. Enfin, derrière un petit monticule qu’on devine levé à force de pourritures et d’ossements, une pinède jette son ombre ici et là ; on a vue sur les calanques dressées par dessus la mer.

C’est là qu’Artaud repose.

Ou peut-être ailleurs, on ne sait pas. Sur la tombe, l’inscription devrait nous rendre méfiant : la famille Artaud ? Lui qui s’est rêvé seul et fils de lui-même, père de rien : une famille, vraiment ? Ou alors est-ce un peuple tout entier d’os et de chairs décomposés, de visages arrachés, qui gît là-dessous. Après avoir pourri dans la terre d’Ivry, on l’emporta jusqu’ici : pour le savoir vraiment, il faudrait encore creuser et on voudrait laisser les corps tranquilles.

Le soleil tombe comme il le peut, frappe la terre en silence.

Certains ont planté des crayons dans un pot de fleurs séchés posé à l’avant de la pierre. Une voiture minuscule, une bille ; des jouets d’enfant pour dévisager l’éternel. J’étais venu les mains vides. J’ai ramassé une feuille d’oiseau et je l’ai déposé là, avant de partir.



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