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Jrnl | Je vivais dans Babel
[25•08•03]
dimanche 3 août 2025

Bourdonnement bourdonnements ce n’était donc pas fini me trompant me trompant toujours
Je vivais dans Babel je n’en étais pas sorti
Trop de bords
Trop de bords encore pour peu de centre
Des vagues reviennent des incursions à nouveau
Incursions jusqu’à quand ?
Henri Michaux, « Détachements », Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, 1981.
Et je n’en étais pas sorti : même passés les faubourgs de Babel on sait toujours où vous trouver (dans les rêves : cette nuit qui rejoue les jours, infâmes et lâches). Alors la force qu’il faut pour laisser entrer en soi le monde — et le congédier, salement. Seule manière de faire : le laisser entrer pour pouvoir, salement, oui, l’envoyer paître. Dans l’eau, l’eau qui tremble — mais de quoi ? Se réfugier dans le journal de Kafka, le retrouver intact six mois après, l’année 1913 où je l’avais laissé : le sourire rageur du camarade, les efforts pour lutter contre tout ce qui s’acharne à saper la vie — et lui qui tient bon malgré tout. Et si je sais où cela le mène— les mois terribles, la toux et le désespoir — je sais aussi que cela ne suffit pas à rendre indigne le combat mené. Qu’il fut conduit contre le désespoir, dans la certitude de lui échapper — les sapins morts sur la colline devant moi n’ont pas abandonné un pouce de terrain, eux non plus, et le soleil, de l’autre côté, qui va mourrir, envisage déjà comment et par où il surgira de nouveau demain. Je bois à cela aussi ce soir, et pas seulement au vice-consul.
Déterrer le vent et souffler ses os dans le vent (j’ajoute cela à ma liste des sorts de conjuration).
J’ouvre au hasard les Chemins cherchés de Michaux, et je respire à plein poumon le grand air des pensées sauvages — celles qui seuls sauvent, qui disent le prix du travail à accomplir sur soi pour être digne de n’être pas mort, et de recevoir, en face, les bruits que font le monde pour vous faire tomber, et qui y parvient tant de fois. Mais on se relève, la lèvre en sang, les larmes, sale d’avoir été sali – et c’est alors qu’on ressasse en soi les noms camarades, les noms forces, les lumières du ciel sur Roche Plane et Grand Mont, et on se lave à grande eau de cette lumière ce soir, encore.


