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Jrnl | Qu’est-ce qu’on a vu voler ?
[25•09•10]
mercredi 10 septembre 2025

D’accord, j’admire la trajectoire ;
mais je pose la question :
qu’est-ce qu’on a vu voler ?
Arthur Schnitzler, Livres des dictons et des doutes (1927)
Entre la ville et elle-même, ce bras de mer. Il fait toujours le même geste pour écarter la possibilité d’un lendemain — comme dans l’air celui qui chasse l’air et la mauvaise idée de jeter le monde dans le fossé, vous n’y pensez pas, soyons raisonnables, et qui, du même geste, chasse la fumée de sa cigarette en rêvant à l’intérêt qu’il y prendrait, peut-être. Bras de mer qui pourrait tout aussi bien enlacer pourtant (ici, c’est moi qui rêve), dire que cela ira : que cela ne pourra pas toujours ne pas aller — ce bras de mer esquisse d’ailleurs parfois ce geste, avant de l’enfouir en lui, de honte, ou rempli de pitié pour moi.
L’odeur de la barricade — pièce de clavecin en si bémol majeur composée par François Couperin en 1717, modèle du style brisé qui porte la signature de l’art baroque français inspire encore : Odore Scola propose son eau de Cologne « Les barricades mystérieuses » au prix de cinquante-quatre euros et s’en explique : « Mystérieuse, énigmatique, cette fragrance chyprée mêle la bergamote et la rose au patchouli et notes boisées intenses. Une belle Eau de Cologne de caractère qui dévoile peu à peu sa belle complexité. Son accord charismatique à la vivacité mélancolique rend hommage à la création de François Couperin. Cette composition remarquable s’adresse aussi bien à l’univers féminin que masculin et son parfum ne laissera personne indifférent. » Et puis ? Le mystère des barricades demeure, et son odeur de rage et de sang : on dit que Couperin avait bâti une barricade à l’harmonie de base, faisant entendre une impasse énigmatique — comme on ne sait pas, on fait d’autres hypothèses : que les barricades désignaient peut-être pour lui l’entrave entre soi et l’autre, entre le passé et l’avenir, entre l’immanent et le transcendant, ou ce regard des femmes : comme on ne sait pas, on s’en remet aux mystères. Une barricade n’a pourtant rien d’une énigme : elle ne se dresse que pour donner l’assaut et être abandonnée.
Je m’en remets aux boucles sérielles de Löffler ce soir : les portails qu’elles ouvrent, les limites qu’elles affrontent, les forces qu’elles donnent malgré tout.

