arnaud maïsetti | carnets

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entre (en silence la fatigue)

dimanche 26 janvier 2014


oui, entre

et

beaucoup de vent, et de fatigue, celle d’être en avance, celle d’attendre, de prendre possession des lieux, de regarder le plateau de théâtre vide, de le voir se remplir d’étudiants, de parler de Genet (de prononcer son nom), de dire les vers du condamné à mort (de s’en vouloir de ne pas les dire mieux), de regarder les étudiants chercher dans les gestes pour les faire, et les mots pour les dire, puis les trouver, de demander la confiance, d’aller regarder parfois vers le ciel ce qui reste de mer ou de ville, d’être fouetté davantage par le vent, alors de revenir, d’être plus fatigué, de passer la journée ainsi, dans les mots de Genet et sur le plateau pour les entendre et les dire parfois, voir les gestes se lever pourquoi, pour rien, pour cela, qu’ils se lèvent, nomment l’endroit où on les lève, d’être là, de voir le plateau se vider, de ranger les chaises et de se dire que cela fait partie du théâtre, de fermer la porte derrière soi après avoir longuement considéré la poussière remuée sur le plateau, de repartir puisque c’est le soir, d’attendre longtemps le bus à la gare, de repartir dans la nuit, de revenir dans le froid — de n’être pas assez fatigué alors de poursuivre.

(Peut-être est-ce la fatigue qui me tient éveillé moi aussi)

Ce soir, livre ouvert encore — pour demain je dessine à la main les plans des théâtres du XVII et du XVIII, des théâtres du Palazzio Vecchio, de la cour de Florence et de Venise, cherchant à comprendre où le Prince et où la foule — là peut-être (je fais un cercle avec le crayon sur une page chiffonnée, avec des triangles renversés) ; cela importe si peu ; ce qui importe, c’est la fatigue qui restera demain en moi pour dire avec des mots dans ma voix voilée par où l’infini passe quand on l’observe depuis une salle de théâtre, par où le fini déborde sur quelque chose qui nous observe et se replie sur nous pour s’ouvrir davantage, peut-être ; aurai-je assez de fatigue ?

(Avant de m’effondrer totalement, impossible de ne pas, pourtant, ouvrir mon Condamné à mort pour vérifier les vers, les lire à voix haute, doucement, faire résonner dans le silence de ma chambre leurs justesses, la déchirure [1].


[1Dans Les Paravents, l’édition que je possède relève cette erreur : entre parenthèses, au milieu d’une parole, cette indication jugée impossible : il est écrit "en silence", au lieu, dit l’édition : de "un silence". Je veux croire qu’"en silence" est plus juste, qu’on peut, ainsi, dire les mots : la preuve.)