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que faire

lundi 24 mars 2014


[ i n s é r e r i c i u n e i m a g e d ’ u n c i e l p o s s i b l e
— e t d u v e n t b e a u c o u p d e v e n t ]

ces lendemains, toujours les mêmes depuis que je suis en âge de voter — 2002, avril —, toujours les mêmes mots sur les écrans qui sont les mêmes, les visages seulement un peu plus vieillis, et peut-être le mien l’est-il aussi (évidemment, non : si je peux voir encore des visages vieillis, c’est que je ne le suis pas), toujours la même colère contre les mêmes colères dérisoires, toujours la même fatigue et plus grande encore dans la pensée que cela recommencera — relire Robespierre pour se guérir, un peu, ce matin ; et quelques pages de Breton ; ces lendemains, la tentation du repli, aussi ; laisser passer ; mais pourtant, ces lendemains comme toujours impossible de ne pas penser en croisant ces visages que plus d’un tiers parmi eux ont délibérément fait le choix qui m’exclut de fait de l’air qu’ils respirent ; et cette question : est-ce que j’habite la même ville, le même pays qu’eux — sans doute non (si vivre est le choix d’un monde possible) ;

Aujourd’hui, sur mon appareil photo, je n’ai pris aucune image (sauf du terrain vague où j’ai l’habitude de travailler le lundi après-midi quelques scènes de Quai Ouest avec les étudiants : cet après-midi, terrain vague occupé par un cirque), je n’en déposerai aucune ici : jour blanc écrasé de fatigue avec un vent froid de février et un ciel dégagé d’août, entre les deux penser surtout à tout le temps qui manque, penser aux mondes possibles et aux possibilités d’en inventer d’autres.

En rentrant, des couples dansaient dans un café, et les voir tourner, depuis le silence de la rue, autour d’une musique que je n’entendais pas, m’a bouleversé ; comme m’a bouleversé plus loin, au milieu de la place, ce danseur qui esquissait des pas de danse classique pour rien : pour le vent, et moi qui au loin le regardais sans qu’il le savait. Allégorie. C’est cela. Inventer le monde, c’est organiser l’espace contre l’espace lui-même : et le renouveler. C’est y croire — c’est le croire, et son miracle lui-même.

Dans ce monde qui s’avachit de plus en plus dans ses haines d’arrière-garde, dans la peur de lui-même, dans la honte d’être ce qu’il devient, j’écoute ce soir les rites indiens de fondations du monde ; je ne veux pas en faire un refuge, non. Au contraire. J’ai, avec ces textes indiens, d’autres textes : et auprès de moi ces textes sont comme des appuis, des tuiles non pour protéger du dehors, du vent ou de la pluie, mais pour agrandir l’espace, inventer des volumes au dedans pour mieux affronter le dehors, oui, faire du dehors le lieu d’une appartenance.

Mélancolie des lendemains, quand tout ce qui est censé organiser le monde nous crache à la figure. (La République n’est vraiment pas la même chose que la Démocratie, me disais-tu le matin — et la République manque décidément.)

Que faire d’autres qu’écouter les rites Navajo de la fondation du monde, non à cause de l’origine et de sa nostalgie, mais en raison des prophéties qu’ils portent, des rêves qui tendent à devenir réels contre un réel de pourcentage et d’estimation qui s’acharne contre nos rêves.