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Georges Bataille, entretien 1951 | Qui êtes-vous ? #2

lundi 20 avril 2015

Projet Éblouissements Bataille
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Émission de l’ORTF de 20 mai 1951 : Qui êtes vous, Georges Bataille ?
Questionnaire avec André Gillois.

A. GILLOIS : Monsieur Georges Bataille, je vais vous demander selon notre petite tradition de bien vouloir répondre aux questions du test, que voici : Qu’aimiez-vous faire, étant petit ?

G. BATAILLE : Mon Dieu, je me rappelle surtout d’avoir été très paresseux, et je ne peux pas dire que j’aimais m’ennuyer, mais, enfin, l’ennui profond dans lequel j’ai vécu indique suffisamment que ce que j’aimais faire, c’était n’importe quoi qui puisse me distraire ; je crois que j’étais un peu comme tous les enfants.

Quel rôle remplissiez-vous dans vos jeux d’enfants ?

Je crois que j’étais très bagarreur. Je me rappelle cela. J’ai cessé de l’être complètement depuis, mais j’étais le plus petit de ma classe, je me bagarrais tout le temps, et j’étais très souvent battu.

Vous rappelez-vous ce que vous auriez voulu être, quand vous étiez écolier ?

Oh, cela changeait tout le temps. Mais je me rappelle que je lisais beaucoup Buffalo Bill, et que j’aurais voulu être Sioux ou quelque chose de ce genre...

Estimez-vous avoir réalisé l’essentiel de vos rêves de jeunesse ?

Je ne suis pas devenu Sioux quand même...

Non, mais il y en a eu d’autres...

Cela dépend de quelle jeunesse il s’agit. En général je ne suis pas mécontent de mon sort.

Pensez-vous être actuellement meilleur et plus pur que vous ne vous trouviez dans votre jeunesse ?

Oui, je crois cela. J’étais très embarrassé avec moi-même étant jeune, et cet embarras était en partie moral. Actuellement, il me semble avoir un peu dominé la situation.

Vous avez pris l’habitude de vivre avec vous ?

C’est cela. C’est-à-dire que j’ai pris l’habitude en effet du malaise que je ressentais étant enfant.

Quelle est l’action ou la chose qui vous rend particulièrement heureux ?

Diable !...

Les hésitations en disent long sur le nombre de choses qui vous rendent heureux, en tout cas.

La première chose que je pourrais dire c’est que je dois être à peu près comme tour le monde, et que, tout de même, enfin, il est certain que tout le monde sait que ce qui rend l’homme le plus heureux, ce sont les sensations les plus intenses... Mais enfin, j’ajouterai ceci de personnel, c’est que, ce qui me paraît le plus intéressant dans le sens du bonheur ou du ravissement se rapproche davantage de ce à quoi l’on songe lorsqu’il s’agit de quelqu’un comme sainte Thérèse ou saint Jean-de-La-Croix, que de la première chose à laquelle j’ai assez visiblement fait allusion.

Pouvez-vous facilement refuser audience aux pensées et aux sentiments déprimants, à la mauvaise humeur et aux inévitables contrariétés ?

Je les surmonte généralement assez vite, mais tout d’abord elles me font sombrer.

Avez-vous l’habitude chaque soir de foire l’inspection de votre journée entière et de revenir sur vos pensées comme sur vos actes pour les peser ?

Ah, ça, non ! Sauf si par exemple, j’en suis malade. Ça, c’est une autre affaire. Mais en temps normal je m’endors, et c’est tout.

Avez-vous tendance à voir la vie sous un angle favorable ou défavorable ?

Favorable, nettement. Encore que tout ce que j’ai écrit semble aller dans le sens contraire.

Quel est, à votre avis, le but le plus important que nous devons nous proposer dans la vie ?

Évidemment, je suis philosophe, au moins jusqu’à un certain point, et toute ma philosophie consiste à dire que le principal but que l’on puisse avoir est de détruire en soi l’habitude d’avoir un but.

Si, pour une raison donnée, vous deviez abandonner votre profession, vers quelle sphère d’activité vous orienteriez-vous ?

Je ne vois pas très bien ce que je pourrais faire d’autre que ce que je fais. Je suis bibliothécaire de profession, j’écris des livres. Je peux évidement changer les bibliothèques pour une autre occupation.

Vous dirigez aussi une revue...

Je dirige une revue...

Alors, est-ce que, si vous n’étiez pas écrivain vous-même, vous aimeriez diriger les autres, ou non ?

Oh, sûrement pas, sûrement pas, sûrement pas ! J’ai eu des velléités du côté de la politique, mais ces velléités me sont toujours assez vite apparues presque ridicules. [...]