arnaud maïsetti | carnets

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au milieu des ruines

vendredi 25 mars 2016


Les jours tombent de plus en plus lourdement dans le fracas des armes. On est au milieu, on passe entre eux comme on enjambe des ruines ou des corps. Les gares et les aéroports, les métros ou les rues sont le décor des catastrophes : au lieu des départs, des circulations et des passages, dans le cœur des villes, on dresse des hôpitaux de campagne, sirènes hurlantes et pas seulement le premier mercredi du mois.

Et puis, dans la vague répétition des horreurs, le sentiment d’une habitude insupportable : les événements historiques qui jalonnent notre histoire deviennent des accidents prévisibles, on s’organise autour de la douleur. Il paraît que les médecins d’Europe progressent dans le traitement des blessures de guerre. Que les médias apprennent à chaque horreur de leurs erreurs. Il paraît qu’on avance dans l’ordre de l’histoire, que les courbes vont s’inverser — on n’a pas encore de mot français pour etc. On est assailli de toutes parts : il faudrait ne rien mélanger, prendre le temps de penser, et tout pourtant nous fait violence. Les guerres qu’on nous impose de part et d’autre, ceux qui portent les bombes et ceux qui pour les combattre attaquent nos libertés, on voudrait les refuser pour d’autres combats – et dans le feu croisé, évidemment, on pourrait se croire désarmé, on ne l’est pas : il suffit de regarder aux terminaisons des arbres.

Car c’est toujours le miracle : l’indifférence du ciel et des arbres pour notre monde est une illusion – hier, avenue du Prado, c’est là déjà, minuscules feuilles qui prennent leur élan. C’est bien vrai que le temps passe et qu’il revient et dans ses retours avancent davantage encore, c’est bien vrai que le ciel fait retour aux arbres même plantés sur le béton des rues. Pendant que l’Histoire vomit ses retours à l’ordre comme autant de défaites et crache ses chaos dans le ballet des menaces et des contre-menaces, que la ruine se constitutionnalise, que les experts nous expliquent ce qui se dérobe sans fin, on voit soudain que le printemps est là, l’explosion de vie qu’il sait posséder et retient, et bientôt délivre.

Tâcher d’en retenir leçon. On pourrait s’enfermer dans la mélancolie des constats, on pourrait fermer la porte sur le monde et se réfugier dans les solitudes ou les colères, on pourrait garder pour soi et à l’abri de tout la vie protégée en cage ; ou on pourrait trouver dans les ruines le courage de lever d’autres mondes possibles, pas seulement intérieurs. Le ciel continue, lui, de dresser le miracle, et la mer de battre, et la nuit de tomber là où le jour se relève. On serait au milieu, on passerait entre les arbres et les voitures comme on enjambe les jours et les mois et les siècles dans le bruit des feuilles qui poussent, des foules soucieuses et affranchies, des villes à venir, déjà là en nous.