arnaud maïsetti | carnets

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des cendres

dimanche 6 août 2006


Menace de l’instant qui me suit. Sa fleur de l’âge arrachée à mon passage, évaporant ses parfums, son pistil étendu dans l’air – immobile et sans vie. Je ne lui échapperai pas mais pourtant. Je fais de mon mieux pour lui appartenir le moins possible. Et le plus tard possible qu’il me recouvre et m’abatte. Ce n’est pas le moment de flancher. De s’appesantir sur des détails bien plus lourds que moi et qui finiront par me soulever, m’emporter aussi. Sur le dos de ma main, je vois les veines et les tendons se tordre et s’emmêler. Alors j’avance. Je ne céderai pas. Ni à la fatigue, ni à rien d’autre, non. Je ne sais pas vers quoi je fuis – et ce que je fuis, je le sais qui m’attend sagement loin devant moi. Mais je sais que si je ne fuyais pas, je manquerais à tout ce qui fait tenir mes doigts en l’air. Ce qui les fait retomber m’appartient en propre. Sur le dos de ma main, je me tiens. Et je n’attendrai pas cette fois qu’on vienne me chercher. C’est moi. L’instant quand il sera mûr s’écrasera sur moi, et de tout son poids me clouera sur le sol, m’enfoncera cinq pieds sous terre où avec lui je resterai un temps. Le temps pour lui de me réduire en poussière. Mais l’instant n’a pas encore pris assez de souffle pour me disperser. Et puis qu’importe ; je ne suis l’instant de personne. Je disperserai moi-même mes cendres dans l’air – mes cendres froides et fines, plus fines que l’espace qui sépare deux mots, deux lettres, deux entrelacs de syllabes prononcés sur ce lit de vie. Je repose envers et contre tous. Et je me disperse quand je le veux.