arnaud maïsetti | carnets

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une voix de plus

dimanche 6 août 2006


Je ne suis rien d’autre. Une voix en plus qui voudrait ne pas s’en tenir là. Je ne cherche pas les à faire taire – qui le pourrait. J’ai connu des mains moins scrupuleuses : devant les bouches elles serraient si fort et plus fort encore qu’elles s’emparaient même de l’air et des langues. J’ai connu des pays. Des rues vides – et parfois vidées. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Non. Je ne parle pas à leur place – ni pour eux, ni d’eux, non. Ne pas s’en tenir là. J’ai connu des royaumes éclairés de derrière par des princes muets. Ils dictaient leurs lois sous des gestes lisibles seulement par les oracles séniles. Des frontières encerclées. J’ai vu cela que des centaines ignorent. Les couchers de soleil par milliers abattus sur le sol et incapables de se relever sous le poids des armures ; alors ne me demandez pas où tout cela me mène. Si tout cela mène quelque part – issue de la nuit des temps encore, ma voix n’a pas de fin. Elle ne se termine pas. Plonge dans le cadavre du siècle. Des royaumes éparpillées par les siècles ; des rues qui les cherchent. Le chemin s’efface et sous vos pas, vous avez l’impression qu’il vous suit tout de même – et vous n’en revenez pas. Les rues ne sont pas vides – mais parfois vidées elles se remplissent de cris. Vous ne revenez jamais alors à quoi bon. Les princes agenouillés sont maintenant aveugles et tâtonnent le noir où ils croient se trouver. Les oracles hurlent le ciel. Frontières dépassées. Les ennemis marchent au pas. Chemins de rondes balayés. Au milieu des invasions, que suis-je. Vous vous demandez ce que je suis mais la question ne se pose pas. Elle n’y arrive pas. Commence et se dilue. Et se confond avec ma propre voix. Ce que je suis – mais je suis ma propre voix, et contre toutes les autres effondrés sous les soleils tombés, couchés sur vous, votre poitrine en feu, lascivement exécutés sous ses bourrasques, son poids accumulés depuis mille ans – contre toutes les autres, ma voix se poursuit, cherche un endroit à refuser encore, un espace où se perdre, un royaume à s’emparer. Sceptre d’argent. Je veux de l’or moi aussi. Couronne ceinte d’ivoire. Princes aveugles à poignarder. Les frontières invisibles sont maintenant si loin qu’elles font le tour de la terre. Voilà mon territoire. Les ventres des femmes déchirés. Les premiers nés tordus sous le fer. Terres brûlées d’où je sème le sel des larmes. Le même sel que je répands sous vos plaies – vos lèvres ouvertes à l’air empoisonné. Dans les fleuves l’eau ne coule pas, mais davantage des corps. Ils vont mais ces fleuves ne tendent pas leurs bras vers les mers, portent plutôt à leurs lèvres écorchées des doigts interminables. Rongent leurs ongles noirs. Moi je continue. Je regarde. Je disperse les frontières jusqu’à les voir se rejoindre. Visage désordre des royaumes grands ouverts. Visages effondrés d’où sortent des voix. Elles remontent le fil de l’eau. Une chanson passe. Les Suppliciés pour toujours – vous endossez ce rôle. Costumes ajustés. Masques blancs sans expression pour les contenir toutes. J’ai vu cela que des centaines ignorent, cachés sous leur posture d’apparat. Un galon pour tous – une solde à chacun. Un baiser sur les yeux et rien ne compte plus vraiment. Les Princes ont le regard crevé. Deux trous profonds fouillent jusque dans les rêves les tombeaux de marbre blanc qu’ils n’ont pas su habiter. Et à travers le silence qui règne maintenant partout dans vos têtes et dans les rues, ma voix perce et l’on n’entend que sa disparition. Je suis là où personne. Et personne ne me voit. Vous lisez dans le noir les oracles du siècle – les lois du marché. Les réponses aux ordres anonymes. Dieu, donne moi la nuit de tes yeux aveugles ! Je suis là qui regarde – rien d’autre que cette voix – et vous ne l’entendez pas, c’est elle qui fait tomber le soleil chaque soir jusqu’à la fin abrutie des temps.