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dans ces jours d’ignorance

jeudi 18 août 2016

On ne sait plus rien. Le ciel est vide et la terre est couverte de cimetières où les grands inventeurs dorment sous le bruit des marteaux piqueurs. Les cartes sont remplies : on ne sait plus où aller. Les mers sont découvertes : on y plonge pour chercher dans les cales des bateaux naufragés la vaisselle d’or et d’argent brisée. On ne sait plus rien : on regarde dans le ciel en crachant sur la terre.

On ne sait pas le temps qu’il a fallu à l’histoire pour parvenir jusqu’ici, ce présent où nous marchons entre les rues nommées par ceux qui ont fait l’Histoire et en sont morts. On ne sait pas le secret de la chute des corps. On sait certaines lois de certains mouvements : on ne sait la raison d’aucune, alors on rêve. On ne sait pas d’où vient le rêve : et on rêve à cela, aussi.

On sait que ceux qui tapissent les cimetières ont rêvé aussi : eux savaient : les noms des dieux et des étoiles, les continents à trouver derrière cette mer provisoirement inconnue : tout tenait dans ces ignorances provisoires qui n’étaient que des promesses éternelles : une longue phrase ponctuée par mille deux-points fabriquait la tapisserie du temps. Ils voulaient savoir les noms des oiseaux alors ils en ont attribué un à chaque oiseau : ils prétendaient savoir les corps et ont nommé les maladies ; ils assuraient gouverner les hommes et ont fabriqué des églises et des dieux, dont ils savaient les noms : et ils ont fait toutes ces guerres qui sont notre histoire, avec des dates à savoir, qui étaient des dates de combats, de défaites, des lieux dans des pays dont il nous fallait savoir les frontières, que les oiseaux traversaient.

Et puis, quand on a fini par tout savoir, rien n’était su.

Rien de véritable. Les dieux avaient des noms, mais ne répondaient à aucun – et n’étaient dignes d’aucun cimetière. Dans les fosses communes, ceux qui savaient dormaient trop bruyamment : il fallait bien que certains d’entre nous creusent la terre et jettent dans l’air et la mer leurs poussières.

Un savoir après l’autre a conduit à plus d’ignorances.

On ne sait rien : c’est tout ce qu’on sait.

Dans ce non-savoir, on avance dans ces rues et cette vie qui n’est plus la nôtre : dans ce non-savoir, on est mieux armé, affranchi de cette histoire et de cette vie qui serait la nôtre. On invente les noms des pays et les visages de ceux qui ne sont pas des dieux. On crache sur la terre par tendresse et non plus par dépit. On regarde la mer en songeant qu’elle est pleine de cadavres d’oiseaux.

Alors, quand on veut savoir quelque chose, on pose les yeux sur un visage et on nomme cela l’amour et le désir, et cela suffit pour ignorer le reste.


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