arnaud maïsetti | carnets

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c’était marcher

dimanche 16 octobre 2016


La crevaison pour le monde qui va.
C’est la vraie marche. En avant, route !
Rimb.

Bob Dylan, Ain’t talkin’ (Modern Times, 2006)

Seulement marcher – c’était, dans le contre-jour en descendant la Canebière, le mouvement, l’allure, l’aveuglement aussi, et la pulsation : face au jour qui s’effondrait de si haut, brûler ces jours. En fins de semaine, se retourner sur les causes d’un dimanche est toujours décevant : lundi, mardi, mercredi et fatalement jusqu’à cette ombre-là jetée devant soi comme un cadavre intérieur, ce n’est pourtant que les autres, le monde, ou son rêve : dimanche arrive en sursaut. Il faudrait garder le silence et travailler sur la page à seulement jeter ce qui importe, les forces. Au lieu de cela, on est rendu à voir passer le monde et l’entendre, et parfois, on se surprend à lui répondre, à mêler sa voix au brouhaha du réel et on est soi-même et le brouhaha et le réel.

La haine des bilans : je l’ai pourtant. Et pourtant (combien de pourtant encore seront suffisants pour en finir avec pourtant). 200 000 ont manifesté de pure haine aujourd’hui ; 7 crachent dans les micros pour préparer notre avenir avec notre consentement ; le monde secoué à peu de frais pour des remises de prix qui font oublier la grâce et l’essentiel ; des villes écrasées sous nos yeux ; des résistances aux logiques funestes de cette réalité s’organisent – je descends la Canebière parce que je me suis trompé d’heure à ce rendez-vous (j’ai seulement deux jours d’avance).

Dans le fatras des jours, on ferait mieux de garder le silence, oui – et d’aiguiser les mots pour les lieux et les temps où ils serviront : pas de repli, juste un retrait conscient et délibéré. Oui, faire sécession est une méthode salutaire qui me tente de plus en plus. Ces prochains jours, semaines, mois, années même, il faudra mûrir cette méthode en stratégie de guerre, intérieure, extérieure. Ne plus jouer le jeu qu’on prépare pour nous. Ain’t talking, just walkin’, oui.

En attendant, dans l’imminence qui est la marque de ces jours, je me tiens. Non, je n’attends pas : l’imminence est le contraire de l’attente, elle est la tension vers ce qui arrive, va naître, se prépare en soi et dans le monde. C’est la situation politique et amoureuse de notre époque : devant les insultes et le mépris, on sait bien qu’on est avant ; viendra la déflagration, les face à face. Faire sécession est une façon de prendre appui.

Dans l’imminence qui est le signe de mes jours, je peux mesurer la force de la déflagration à venir qui tient à sa douceur : je marche dans ces jours comme en moi-même, descendant les couloirs étriqués de ce monde et cherchant des espaces lumineux où commencer infiniment cette vie, traverser le brouhaha en espérant déchirer ses illusions, tenir ensemble l’exigence de ne pas renoncer et la volonté de ne pas être just a pawn in their game ; oui, c’était marcher quelques heures avec ces pensées vite oubliées, aller, seulement de ce pas, celui qui dans la ville fait reculer la ville et vient provoquer le temps – comme on s’approche et recule à la fois, la sécession comme désir.