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THTR | Lendemain de Joseph Danan

mercredi 14 décembre 2016

Parution aujourd’hui du sixième texte de la collection THTR que je co-dirige avec Christophe Triau aux éditions Publie.net. Après Figures Nues de Amin Erfani, Jusqu’à ce que et Balivernes hivernales de JY, Dehors Dedans de Arnaud Rykner, et l’essai sur le théâtre de Christiane Jatahy, heureux de voir naître ce jour Lendemain de Joseph Danan.

Une pièce somme, une sorte de traversée des formes théâtrales mais aussi des secousses de notre temps. Une langue minée par des langages qui l’irriguent. Et une jubilation de lecture, dans l’inquiétude qu’elle suscite aussi en regard de notre histoire.


Lendemain, de Joseph Danan, en disponible en version numérique et en version papier : voir en ligne la page du livre sur la librairie Publie.net


Présentation

L’histoire commence toujours après la fin : on le sait bien. C’est donc au lendemain que commence la pièce : lendemain de fête et de liesse, 13 juillet 1998, un pays célèbre une victoire sportive comme jadis une conquête militaire, dans l’illusion d’une union qu’on prétend sacrée. Sadwell Hall, lui, a choisi cette nuit pour disparaître. On est le lendemain de ce mystère autour duquel s’agrègent les énigmes, et d’abord celle-ci : qui est-il ? On sait seulement qu’il a disparu, et cela suffit pour commencer l’histoire.

Lendemain s’ouvre comme une enquête policière, mais c’est une fausse piste – c’est d’autres disparitions qui surtout ouvriront la pièce en mille directions. Les repères se brouillent, et ce décor de récit policier se révèle bientôt pour ce qu’il est : un décor pour des figures en attente d’une histoire, des ombres pleines de nous-mêmes, tout un théâtre qui se replie sur notre présent.

Car ce qu’on lit peu à peu, imperceptiblement, semble une traversée du théâtre et de notre époque, double traversée l’un par l’autre, et l’une par l’autre dévisagée. Pièce de tous les théâtres, et théâtre qui met en pièces l’écriture même du théâtre, Lendemain possède souffle romanesque et lancées lyriques dans une épaisseur qui met au défi la scène de s’en emparer.

Il faudrait une nuit de théâtre, dit son auteur. On se réveillerait le lendemain, avec cette histoire traversée joyeusement et terriblement, ces théâtres qui implosent et ces êtres qui cherchent dans la nuit à disparaître pour renaître. On serait après. On serait maintenant.
Dans cette course ample à travers les deux dernières décennies, Joseph Danan dessine une généalogie de nos secousses présentes, ces terreurs et ces joies qui signent notre appartenance à ces jours, où les Coupes du Monde de football sont nos événements historiques, qui scandent désormais notre rapport au temps presque autant que des attentats : où depuis vingt-ans, rien ne semble avoir eu lieu que cette imminence dont le texte porte la charge et accomplit.

Et dans l’écriture qui vient porter le fer aux conventions, sociales, politiques, théâtrales, une manière à la fois de s’affronter au présent, et un geste qui voudrait déborder notre époque par elle-même. Puis dans ce geste, on entend ce qui sourd, est latent, tacite, un soulèvement possible (et face au refus de faire « miroiter les différentes facettes du cauchemar », une façon de le dévisager, de lui faire face, aussi).
« Toujours nous serons les habitants de ce lendemain / inhabitable », dit l’Auteur dans le cinquième épisode de la pièce – peut-être faut-il le croire, et venir peupler ce qui se lève autour de nous à mesure que, lisant, nous faisons l’exploration de ce temps impossible qui est le nôtre.


Extrait

comment sort-on d’ici ? / comment sort-on de la nuit ? / savez-vous où est l’issue ? / vous connaissez ma langue ? / connaissez-la pour moi / moi je ne la connais pas / je l’ai oubliée / parlez-moi ma langue
et lui / Pianoman / parlant la langue de la musique / perlant ses notes sur le Steinway / sans fin / sans fatigue / comme si son être exténué n’était plus que musique / entrant en communication avec quels mondes
errant / traversant des rues et des ponts / des quais / des maisons / avançant dans la nuit / passant à travers les murs et les langues / longeant des chantiers / des immeubles en démolition / des grues se détachent sur le fond noir du ciel
là-bas
s’enfonçant encore / dans la touffeur / dans la moiteur qui ne sèche pas ses vêtements / je voudrais dormir et me réveiller
égaré une deuxième fois / recouvert par le
temps réel
les prix du pétrole et Paris feuilleton olympique
la septième victoire annoncée d’Armstrong dans le Tour / et les bombes
notre pain quotidien
s’approchant de notre porte
Londres puis Charm el-Cheikh
puis où vous voudrez / n’importe où dans le monde