arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > l’état de la France, juste avant la peau

l’état de la France, juste avant la peau

mardi 11 avril 2017

Avec la lumière la plus forte, on peut décomposer le monde. Devant des yeux faibles, il devient ferme ; devant des yeux plus faibles, il a des poings ; devant des yeux encore plus faibles, il devient pudique et frappe celui qui ose le regarder

Kafka, aphorisme 94 (de Zürau)


L’horizon des événements. On cherche partout une image possible qui dira ce qui nous entoure : mais on n’a pas besoin d’image. Il suffit de poser les yeux sur ce qui nous entoure. Chaque chose prend – dans ce temps d’incertitude qui est le nôtre – le poids d’incertitude qui nomme le temps et le dévisage. L’histoire n’est pas ce qui s’écrit ni le pouvoir ce qui s’exerce : c’est fini tout cela. Non, le pouvoir est ce qui nous enveloppe et l’histoire la forme que prend le temps pour venir jusqu’à nous et nous déposséder du reste.

L’amour s’engouffre là comme de la contrebande. Nous nous y jetons de tout notre corps parce que c’est ce que nous avons trouvé de plus terrible pour nous affronter à ce présent. Il y a dans les arbres comme un frémissement. Tout paraît possible : les fascistes ou l’espoir. « À la fin, ça a toujours été entre nous et eux » – la phrase est peut-être juste, je ne sais pas, mais elle est belle et solide. L’état de la France, oui, est partout autour de nous sur les murs dévorés d’affiches électorales lépreuses et déjà dévorées, déchirées, obsolètes. Plus juste encore est le tremblé du vent, le soleil quand il tombe sur nous, l’eau qu’on partage et le café qui tiédit pendant qu’on parle de ce qui nous arrive.

Il ne nous arrive rien, on arrive à ce point où tout peut être comme le ciel : cette surface opaque dont on sait qu’elle cache l’horizon : l’horizon même qui s’éloigne à mesure qu’on voudrait l’approcher, et l’arrière-monde d’un monde qu’on sait sans arrière-monde – reste le désir. Et la peau qu’on porte sur nous comme une dernière chance, comme un autre désir. Tu lèverais les yeux sur le ciel comme sur moi, et sur la foule nombreuses qui n’attend plus rien que d’en finir avec le ciel, et de poser son ombre quelque part où on ne l’attend pas.