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La Ville écrite | faites l’amour

jeudi 30 août 2018

Nous écoutons la radio et la voix dit la société industrielle est morte et nous sommes inconsolables, la société industrielle est morte et nous sommes en deuil, la société industrielle est morte, qui a fait la preuve de la capacité d’intégration des classes laborieuses dans le système productif, solidement arrimées dans une chaîne de valeurs sociales qui faisaient qu’ils participaient aux fruits de la croissance (et tu penses à d’autres chaînes, aux ouvriers broyés dans les usines automobiles, des amputés des mines de l’Est, tu penses aux mains d’œuvre qu’il a fallu pour lever les cités sans horizon et tenus soigneusement à l’écart des villes, immeubles où s’entasseront leurs enfants, tu penses aux morts véritables et au cadavre de la société industrielle avec le désir de cracher sur la terre) ;

nous écoutons la radio et la voix dit le pays est mort depuis qu’il a mis à mort son roi et nous sommes inconsolables, nous cherchons le souverain dans chaque père qui nous fouetterait et nous en redemanderons, nous cherchons désespérément à qui obéir, devant qui plier genoux et visage, le pays est mort et nous sommes en deuil d’un souverain qui nous dirait ce qui est bon, et comment dire oui (et tu penses aux Cerises d’amour aux robes pareilles / Tombant sous la feuille en gouttes de sang)

nous écoutons la radio, les voix qui pleurent les morts pas assez enterrés, les larmes tombées comme autant de coups, tu penses à tout ce qu’il aura fallu défaire pour en arriver au point de l’histoire où tout revient avec les mots stupides du deuil, les mots sacrés qu’il faudraient injurier, et sacrer sur eux comme on jure (devant dieu, jurer qu’on ne croira qu’aux corps des hommes, des femmes et à leur sang)

nous écoutons la radio et nous l’éteignons comme on défait l’histoire qu’on voudrait nous imposer pour mieux nous apprendre à obéir, nous n’obéissons pas, nous n’avons pas peur, ni du deuil ni des chagrins, nous préférons ne pas éviter les belles, oui, nous ne vivrons pas sans souffrir un jour, et si nous avons décidé de nous défaire de ces deuils de pitié, c’est pour mieux faire ce qu’ils ne feront jamais.


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