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un champ de forces

jeudi 30 mai 2019


Nous cherchons à ramener dans le présent les éléments constitutifs du fil jamais rompu de toutes les tentatives d’organisation directe de l’existence.

André Breton, La Lampe hors de l’horloge

Ludovico Einaudi, "Day 3 : Gravity" (Seven Days Walking : Day 3)


Tous ces jours ensemble. Dans le film de Cassavetes, la cassure dans chaque plan, et ça formait pourtant une coulée de vie qui se donnait naissance : est-ce que c’est aussi nos vies ? Dans le film, je cherche à voir la beauté pure aussi, et la dignité de mourir debout, et le regard d’un loup. Je ne sais pas ce que je cherche : une manière de continuer le fil, je crois. « Autour de nous, j’ai vu tout de suite que les différents objets sentimentaux n’étaient plus à leur place », supplie André Breton.

Toutes ces nuits aussi, et souvent interrompues par quatre heures du matin ; il faudrait que je parvienne une fois à entendre le moment où tout se brise dehors ; je n’entends que les hurlements des chats et des oiseaux. Les heures dans la journée souvent sont des épaisseurs qui m’éloignent ; tout ce qui se perd, s’épuise. Les temps morts qui sont la plupart des heures. C’est comme ces voiles qu’on met devant les livres, les films : beaucoup pensent que ce ne sont que des livres, des films. Bien sûr que non, pourquoi les lire et les voir, si ce n’était pas toute cette vie éventrée qu’on fouillait ? Si on ne devait faire que lire et contempler les mots, on aurait seulement honte, mais on n’a pas honte : on a parfois peur, et parfois on est appelé ; le plus souvent rien ne se passe et c’est tant pis pour nous. Les livres et les films sont posés au milieu des corps dehors et des cris des chats et de l’amour et de la terreur pour pouvoir les lire, eux ; ce n’est pas les mots des livres qu’on lit et qu’on regarde, mais les corps dehors et l’amour et la terreur. Alors je lis, et je regarde les films, et ce n’est pas mettre un voile entre moi la vie, non, ce n’est pas attendre que la vie me parvienne. C’est le contraire. L’image dans le rêve : je prenais mon élan. « Tu n’as donc pas compris que tous ces gestes, que tous ces mots qui s’approchent de toi meurent si tu ne les accueilles pas », crie André Breton

Je ne savais pas quoi répondre, quand il est midi et que l’ombre tombe à la verticale de soi. On ne se cache pas. On est nu face à tout ce qui se dit, sous cette lumière. Un champ de forces capable de tout embrasser à la fois pour rendre grâce à tout et jusqu’à la brûlure, celle qui réveille en sursaut. J’étais seul aussi même si ce n’est pas vrai. « Je cherche l’or du temps », hurle André Breton.