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Bob Dylan, Monde Politique

Article publié dans Du malentendu en chansons, PUP

dimanche 18 avril 2021

Cet article a été publié dans l’ouvrage, paru en avril 2021 aux presses universitaires de Provence, rassemblant les actes de la deuxième biennale des études sur la chanson, qui a eu lieu à Aix-en-Provence du 2 au 5 avril 2019.


17 mai 1966. Sous la pluie, on fait la queue dans les rues de Manchester. The Hawks fait une étape dans son World Tour au Free Trade Hall. Toute la première partie, on jouera avec les guitares acoustiques les chansons folk qui ont fait lever l’Amérique, ces trois dernières années, et ont donné au chanteur le statut de prophète, de Messie. Allen Ginsberg l’a adoubé. Pas un défenseur des droits civiques ne l’oublie dans les discours, les hommages, les manifestations pour la lutte contre la ségrégation raciale, qui est aussi une lutte sociale, pacifiste, écologiste. Le chanteur n’a pas 25 ans, et déjà six albums, des dizaines de chansons, une aura qui le sanctifie. Robert Zimmerman, c’est son nom, est davantage que lui-même. D’ailleurs, il s’appelle Bob Dylan, ce qui n’est pas pareil. Tout à l’heure, après la première partie, on le sifflera. La foule fait aussi la queue pour cela, et paie très cher le billet qui donne le droit de le siffler. C’est au nom de l’aura du prophète qu’on le fait. C’est parce qu’on dit qu’il a trahi. Que la musique qu’il propose les insulte. Juste avant la dernière chanson, quelqu’un dans la foule hurlera « Judas ». Et Dylan, blessé, lâchera d’abord avec un rictus de douleur « je te crois pas », puis ajoute « tu es un menteur », avant de se retourner vers ses musiciens, de leur demander : « jouez putain de fort », et de proposer l’une des plus belles versions, rageuses, vengeresses, de ce qui est largement considéré comme le plus belle de ses chansons : « Like a Rolling Stone ».

Hollis Brown.

Il faut revenir en arrière pour comprendre la portée de ce malentendu — qui témoigne en fait, comme bien des malentendus, d’une parfaite entente, et d’une voix qui soudain n’entend plus correspondre à ce qu’on attend d’elle.
Dans ces années, The Newport Folk Festival est peut-être la capitale politique des États-Unis d’Amérique, une capitale marginale et contestataire, où bat le cœur militant d’une jeunesse qui refuse la Guerre qui s’annonce au Vietnam, qui se bat pour l’application du Civil Rights Act et du Voting Rights Act. Les chanteurs qui s’y produisent se veulent à l’écart de l’industrie commerciale du disque. Dylan est le premier d’entre eux. C’est Suze Rotolo, sa compagne d’alors, activiste au Congrès pour l’Égalité des Races (CORE) qui éveille le jeune homme de 21 ans à la conscience politique. Suze a une sœur, Carla, qui travaille à la bibliothèque du Congrès sur l’archivage des musiques collectées, le sanctuaire du folk. Bob Dylan y est souvent. Il lit les revues. Cherche des chansons, des histoires.
Est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose qui lit le politique à autre chose que lui-même, qui est à la fois la lyrique amoureuse, et l’histoire de la musique, la contre-histoire de l’Amérique ?
Dylan invente ici son geste : il racontera des histoires sur le modèle des chansons anciennes, ces trames tissées dans l’immémorial des terres de l’ouest, mais il filera ces trames dans l’époque présente, dans des drames d’aujourd’hui qui sont partout dans les journaux : inégalités sociales et raciales, injustices, exploitation, douleur. Écrire le présent avec le passé, pour offrir des perspectives en lignes perdues, c’est la courbe lyrique et politique de Dylan. Écrire des chansons de maintenant, comme si c’était des chansons d’il y a deux cents ans : c’était la tâche des premières ballades de Dylan, par exemple Hollis Brown, ou Hattie Carrol.
En 1963, le festival marqua les esprits tant et si bien qu’on peut dire qu’il participa concrètement à la conquête des droits civiques, précédant de quelques semaines la marche sur Washington et le discours oniriques du Pasteur Martin Luther King.

Blowing In The Wind.

Cet été-là, 1963, Bob Dylan se produit avec Joan Baez, qui chantent tous deux Blowing In The Wind, sorte d’hymne politique et sociale, étendard de la folk music renaissante. Et après le discours de Martin Luther King (où résonne encore le déchirant «  I have a dream »), Dylan chante When The Ship Comes In : « quand le bateau accostera », qui sonne comme une version musicale du discours du pasteur. Cette année-là, Il reçoit le prix Tom Paine qui récompense « une personnalité qui a symbolisé le juste combat pour la liberté et l’égalité ».
Dylan est donc fatalement, depuis, le porte-parole de la protest song, chansons de protestation, ou chants engagés : il l’est incontestablement malgré son jeune âge, mais il l’est incontestablement malgré lui.
Dylan propose déjà un contre-pied et appelle ses chansons engagées des Finger pointing songs (les chansons qui montrent du doigt) : c’est tout ce qu’il concèdera, lui qui refusera toujours la mention Protest Songs. Tâche de Dylan au début : trouver tout ce qu’il y a, à montrer du doigt.
Mais voilà : ce que montre la parole, c’est aussi un écart avec le thème qu’elle affronte, c’est une enveloppe aussi de sensation et de corps, d’affects et de situation concrète : alors, la chanson ne coïncide pas toujours avec ce qu’elle désigne. Dylan dépose des signes d’horizons et d’éléments, en premier lieu la pluie, et le vent, comme des motifs qui s’arrachent au jeu partisan de l’engagement, mais qui seraient politiques parce que le vent par exemple est cette force d’emportement des êtres et de la vie.
Il n’y aura jamais pour lui une catégorie de chansons qui priment sur les autres. Chansons lyriques, chansons politiques… Le chanteur capte le temps qui passe et le donne à voir, à entendre, dans un champ de force qui seul importe. Celui qui chante est immergé dans le monde qu’il capte et auquel il renvoie la fragilité.

A Hard Rain’s Gonna Fall.

« J’écris partout où je suis. Des fois c’est toute la journée assis dans un coin. Même n’importe quoi. Pendant des heures je regarde les gens, je me raconte des histoires, ça fait des chansons. (…). »

En 1963, Hard Rain’s Gonna fall voudrait raconter la crise des missiles de Cuba, le sentiment qu’il n’y aura plus de lendemain, comme un chant de terreur, et ligne après ligne essayer d’attraper la voix du néant, la sensation de la fin. Chaque ligne construit ce que la suivante va défaire, remplacer, évacuer — et tout le récit se bâtit depuis la vision d’un enfant.
Chanson politique, folklorique ? Dylan puise autant aux journaux de l’époque qu’aux revues anciennes : ce qu’il écrit surtout, ce sont des chants de désespoir dans la pure tradition folk qu’il avait étudié de près et inventorié grâce à Suze et à sa sœur. Mais la bascule de la folk qu’opère Dylan, c’est de se saisir de la chanson et de ses motifs non pas comme si elle avait été écrite dans le passé, mais pour le présent.
Alors il ne se reconnaît pas dans le statut de chanteurs engagés : puisqu’il s’engage avant tout en lui-même, et dans l’histoire de la musique, davantage que pour des causes qui n’ont, à vrai dire, pas besoin de lui, et qui sont défendues par des hypocrites en costume qui cherche surtout à lever des fonds et à se bâtir des carrières. Par exemple, ceux qui lui décernent le Prix Tom Pain.
Quand il reçoit le prix, il se réfugie dans l’alcool et livre un discours insultant. On aura tort de mettre ces insultes sur le seul compte de l’alcool. On considère souvent que Dylan a pris peur de l’image qu’on forgeait pour lui.
Dès le mois de février suivant, en 1964, parait The Times They Are a-Changin’ qui prolonge pourtant l’engagement. Il y peint l’Amérique violente des ségrégations, le désir de revanche sociale, la certitude d’une jeunesse qui va tout renverser. D’autres chansons, peu entendues, ouvrent des lignes de fuite : vers la ballade plus traditionnellement folk, amoureuse, mélancolique et solitaire. Contrepoint lyrique et poétique, dit-on le plus souvent — accidentel en somme, et qui n’empiète pas sur le cœur politique de l’œuvre. Alors quand Dylan se réfugiera plus tard dans le premier versant, lyrique, érotique, damné, on hurlera à la trahison. Ne peut-on pas entendre plutôt, dès ces années, l’esquisse d’une autre politique ? Celle de l’émancipation radicale par laquelle l’œuvre collective prend sens ?
Les admirateurs de Dylan ne l’entendent pas de cette oreille, au nom même d’un Dylan qu’ils se sont fabriqué : et dès lors, Dylan est attendu dans ces concerts pour qu’il incarne la protestation sociale et générationnelle que son public lui fait endosser.

My Back Pages

Juin 1964, une seule journée suffit pour opérer la bascule : Another Side Of Bob Dylan paraîtra en août. Aucune chanson ouvertement engagée, et des paroles ambiguës qui semblent tourner le dos aux engagements récents « Ah j’étais si vieux alors/Je suis plus jeune que ça maintenant » écrit-il dans My Back Pages. Personne ne l’écoute.
Dylan insiste :

« Il n’y aura pas de chanson protestataire dans cet album. Ces chansons, je les avais faites parce que je ne voyais personne faire ce genre de choses. Maintenant beaucoup de gens font des chansons de protestation, pointant du doigt ce qui ne va pas. Je ne veux plus écrire pour les gens, être un porte-parole. […] Je veux que mes textes viennent de l’intérieur de moi-même [1]. »

Le même été, il rencontre les Beatles en tournée aux États-Unis : respect mutuel, mais sur le terrain musical, celui d’un affranchissement organisé, le partage d’une violence de l’attente du public, les ruses pour échapper aux projections qui figent. Dylan multiplie les provocations qui n’en sont pas, et les albums prennent des virages comme des lignes de fuite. De fuite ? Ou alors comme des lignes tracées dans une perspective nette : celle de la musique écrite pour elle-même, chevauchant l’époque (comme il l’écrira dans ses chroniques), d’une écriture qui aurait pour modèle moins Luther King que Rimbaud, et qui en passe pour cela par le blasphème. Bringing it All Back Home (manière de dire : après avoir observé les Beatles, on ramène tout à la maison) ; puis six mois plus tard, Highway 61 revisited, la grande route qui emporte loin de la campagne défrichée de la folksong des festivals de Newport.
Newport, Dylan y revient pourtant, parce qu’il sait être fidèle aussi, quoi qu’on en dise.

Maggie’s Farm

Juin 1965. Le 14, il joue la folk qu’on attend de lui — il se déçoit lui-même. Le 15, il remonte sur scène.
Il électrocute une partie du public ; et électrifie l’autre moitié. On raconte qu’un organisateur du festival se serait saisi d’une hache pour couper les câbles, et qu’on l’a retenu in extremis. C’est une légende. Elle porte une part de vérité.
Dylan chante « Je n’irai plus à la ferme de Maggie, je n’irai plus jamais » — la ferme de Maggy, comment ne pas l’entendre comme cette origine de la folk song terrienne. Le public l’entend comme cela : et donc, comme une trahison. Mais le malentendu est cruel. Parce que cette chanson dit moins un renoncement de la protest song qu’un infléchissement sensible, mais décisif des déterminations politiques des chansons de Dylan, qui ne cède en rien sur l’essentiel.
En 1963, Dylan avait en effet joué pour les fermiers noirs à la ferme de Silas Magee. Alors, « tout ramener à la maison », comme le dit le titre de l’album, c’est revenir au principe de la déclaration d’indépendance, comme le dira plus loin la chanson, celle qui dit l’égalité entre les hommes, celle qui lie la liberté à la compassion. La politique au lyrique.
Ainsi, un an avant l’Angleterre et l’insulte de traître — de plus que traitre : de Judas —, il reçoit les sifflets des siens. Trahison ? Malentendu ?
On avait pris Dylan pour un messie, il était son bourreau. Celui qui se vend pour quelques deniers, qui se tourne vers la musique commerciale pour devenir une rock star égoïste plutôt qu’un folk singer proche du peuple. Et pourtant.
La version officielle de ces retournements, c’est justement de parler de retournement. Dylan terrifié par sa célébrité grandissante, incapable de supporter le choc de la puissance populaire, aurait renié son engagement politique qu’il n’avait endossé que par opportunisme, et il a préféré l’auto-destruction, le saccage, le reniement, plutôt que de filer la trame politique et de correspondre ainsi à un amour de foules qui l’aurait écrasé.
C’est ce que montre Todd Haynes dans son beau film, I’m Not There, une relecture du mythe de Dylan dans la syntaxe du mythe, dans son iconographie, dans sa caricature, et qui voudrait souligner la nature d’un malentendu politique et religieux.
On pourrait l’entendre différemment. Et tâcher de traverser le malentendu pour entendre cette fois non pas les virages d’une poétique et ses positionnements stratégiques en fonction des goûts du public, mais en essayant de prendre au sérieux l’hypothèse lyrique qui demeure le socle d’un Dylan entier, homogène, intègre au sens d’une unicité présente dès les toutes premières chansons.
Contre la facilité de marquer des épisodes (le « premier » Dylan politique, contre le « deuxième » psychédélique et rock, avant le « troisième » religieux à la fin des années 70, et le « quatrième » aujourd’hui crooner et blues), il faudrait peut-être examiner l’œuvre dans son exigence entière, dans son principe qui est aussi sa dynamique. L’hypothèse lyrique est ce qui fait de ces Dylan un continuum fait de déplacements sans solution de continuité. Où le politique n’y est pas engagement manifeste contre des causes — en cela, on aurait moins besoin de Bob Dylan que de Martin Luther King ou de Bob Kennedy —, mais où ce politique est une inquiétude lyrique, où justement le sujet s’engage dans sa propre cause, au nom même d’une quatrième personne du singulier qui le multiplie (et Dylan n’est pas Zimmerman), le dévisage, et l’ouvre au pluriel d’une communauté elle-même inquiète.
En cela le politique de l’œuvre de Dylan est partout dans son œuvre : au début et à la fin, comme le tout de l’œuvre. Et même se radicalise-t-elle à mesure qu’elle quitte les rives trop explicites des engagements pour aborder le grand large, les tempêtes (titre d’un album récent) de l’époque.
Politique, ça ne veut pas dire engagé strictement dans une cause qui l’aliène : ça veut dire regarder le monde et le désigner, et montrer les forces en présence, les camps qui s’organisent, ce qui défaille, ce qui s’effondre. C’est surtout aiguiser un regard : rendre le nôtre moins émoussé par la fatigue qui accable, l’habitude qu’on prend à accepter le monde.
Politique de Dylan, ce qui puise dans le lyrisme une façon de trouver dans les identités forgées de plus haut que lui, que nous, des forces capables de nommer le monde pour ne pas en rester là.

Political World

Political World chante-t-il en 1989, année de bascule, de chute de mur en fin annoncée des idéologies, de l’histoire et avec elle de la politique.

We live in a political world / Where love don’t have any place / We’re living in times where men commit crimes / And crime don’t have a face / We live in a political world / Icicles hangin’ down / Wedding bells ring and angels sing / And clouds cover up the ground / We live in a political world / Wisdom is thrown into jail / It rots in a cell misguided as hell / Leaving no one to pick up the trail

« Dans notre monde trop politique, l’amour tu crois qu’il aurait place ? On vit au temps où l’homme accomplit des crimes, mais le crime n’a pas de visage. Dans notre monde trop politique concrétion glacière dans l’atmosphère ; on vit sous des cloches de neige et le chant des anges ; des nuages opaques sur le sol ; dans notre monde trop politique le bon jugement on l’enferme, on vit comme dans une cellule pourrie, égaré c’est l’enfer et c’est permis à personne la piste où s’enfuir [2]. »

François Bon note à cet égard :

Dès les « chansons qui montrent », la période des chansons le plus directement politiques, ce qu’il affirme c’est son écart : un vocabulaire matrice, qui définit un territoire, et ce territoire accueille toute revendication au monde, mais ne la formate pas. La réponse, ami, souffle avec le vent. Ceux qui ont accusé Dylan de délaisser le terrain directement politique ont sans doute sous-estimé son intuition, et la fixité même du territoire où il garde les pieds ancrés [3].

Dignity est une de ces chansons récentes le plus politiques : « Un sage vaincrait ses erreurs. Mais la sagesse du chanteur est d’en faire une histoire » écrit Dylan [4]. La vie de Dylan est cet évitement d’une place toujours refusée, des rôles et des honneurs : s’il avait accepté cette place, il aurait été un prophète de plus, un chanteur de moins, piégé par ses propres miroirs que chaque chanson, depuis au moins Ballad Of The Thin Man tend à refuser, par terreur, par instinct de survie. Ballad Of The Thin Man raconte cela : vous entrez dans une pièce, et il y a quelqu’un déjà. C’est vous ? Vous déjà ? Déjà de toute pièce forgée par d’autres. Il s’appelle Mister Jones (monsieur tout le monde). C’est lui qu’il faut affronter : cet être qui nous habite et qui parle le langage des autres en nous.
Ou prendre la parole, d’où écrire politiquement pour échapper aux assignations qui aliènent ? Si le politique est l’art de s’affranchir des aliénations, et si l’écriture est justement ce lieu où au lieu de soi, on trouve sans cesse les autres, comment faire ?

« Je suis pas un mélodiste. Je prends un vieil hymne protestant, ou une vieille ballade, et je médite avec. Il y a des gens qui méditent en regardant une fissure au plafond. Moi, c’est à partir d’une chanson. » Méditation dans la fêlure que constitue la chanson : dans ce creux qui sépare et tient les choses ensemble. »

Quand il s’explique sur l’origine de l’écriture de telle ou telle chanson, c’est toujours très concret : une annonce à la radio, un type qu’on a rencontré la veille au soir dans un club, la préparation d’un repas. C’est la folksong, politiquement traversé par la vie telle qu’elle passe, et que le vent emporte.

Epitaphes

Dans son troisième disque, The Times They Are a-Changin’ (1964), Dylan avait inséré un étrange texte : onze épitaphes — onze fois la mort commentée d’un chanteur de vingt-trois ans, qui s’appelle Bob Dylan. Autant d’hommages, autant de variations fixes d’une même hypothèse de vie. Il s’agissait déjà d’échapper aux malentendus qui ferait de Dylan un rôle à jouer, alors que Dylan, ce n’est qu’un nom qui porte avec lui tous les autres noms, ceux qui nomment l’exigence de parler le présent de chaque présent afin de le défier, non de le sauver, mais de le désigner, de l’affronter.
Dans ce récit, il y avait peut-être déjà tout : les rôles à endosser, et la tangente qu’on prend. Les noms comme des alliés, la folie de faire du renversement de tous les sens, un mot d’ordre rimbaldien, où Rimbaud (le nom de sa Fender Telecaster) désigne ce nœud dans l’histoire de l’occident d’une émancipation poétique et politique.

« Dans ces temps d’en arrière où j’aurais préféré vivre, les années 30 affamé j’aurai croisé Woodie, sur le bitume de New York, chanter pour cent balles, dans le métro. Viens, viens maintenant Monsieur Dylan nos lecteurs veulent respirer affamée la vérité toute nue ; c’est à toi de voir, Monsieur Dylan, à toi de voir. Les sons de François Villon résonant dans mes rues folles, comme je tire la dernière taffe du cigare laissée par Bertolt Brecht, les chansons de Ginsberg, la rythmique de William Blake, les visions Beat de Johnny Cash, et la sainteté de Pete Seeger, voilà tout. Tout ce qui me fiche en l’air. Renverser tous les sens [5] »


[1The Crackin’, Shakin’ Breakin’ Sounds, Nat Hentoff, 24 octobre 1964 (Jonathan Cott, Bob Dylan : The Essential Interview, p. 16).

[2Traduction (revue) de François Bon. En ligne : https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article578.

[3Ibid

[4Bob Dylan, Chroniques, t. I, Paris, Fayard, 2004.

[5Repris par François Bon, in Bob Dylan : une biographie, Fayard, 2009.