arnaud maïsetti | carnets

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histoire de lignes

dimanche 7 mars 2010

J’ai fini par me rendre sur la ville de l’autre côté de la rive, par dessus le fleuve noir, passé par le pont qui surmonte ces emblavures de courant agité sur la base des colonnes — aurais aimé avoir été chargé de ces trois derniers jours comme d’un sac, et combien j’aurais donné pour le laisser glisser de mes épaules et le voir tomber, là, en bas.

Dans ce sac, il y aurait les pages impossibles à écrire, à lire, sans se brûler. Il y aurait la vie comme de la peau morte mais encore sous les ongles, du sang sur du linge blanc. Il y aurait tout ce que l’oubli obsède quand on le cherche : les déjà-vu des rêves. Les visages des morts dans le crâne. Dans ce sac, il y aurait tout ce qui est insupportable : tout ce qu’on finit par supporter malgré tout et qui rend le jour honteux.

Sur le pont, d’autres que moi étaient passés visiblement — s’étaient usés les doigts sur la rambarde de bois à force de ne pouvoir se débarrasser de ce sac, de ne pouvoir le lancer avec toutes les pensées lourdes. Et l’eau ne cessait de se cracher en bas, traçant des lignes si courbes et si parfaites qu’elles faisaient injures à nos lignes qu’on creusait avec ces lettres sur le bois.

Quand je suis rentré, c’était lourd de ce poids supplémentaire : celui de toutes ces lignes emmêlées : les unes dans le fleuve qui délayaient le temps, et les autres sur le pont qui ne parvenaient qu’à le fixer. Et lorsque j’en trace d’autres ici, je ne sais lesquels je rejoins, et lesquels je voudrais conjurer.