arnaud maïsetti | carnets

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galeries

jeudi 13 mai 2010

Dans les galeries où je traîne le pas pour salir mes chaussures à la poussière moite des lieux, je ne vais pas — construites selon un plan circulaire, je me retrouve sans cesse à ce point-là, semblable aux autres. Je n’avance pas dans l’espace ; toujours à égale distance du centre, toujours plus perdu dans un labyrinthe bâti comme un seul couloir arrondi.

La galerie est percée à gauche de larges ouvertures de ciel où le jour qui entre élargit le lieu ; mais quand on passe devant, on ne voit que de la lumière et aucune forme en travers pour dessiner des ombres, le paysage du dehors, le monde bruissant de signes. Ce sont des grandes paupières ouvertes mais aveugles : je passe et préfère me réfugier dans l’espace entre deux ouvertures où il fait si férocement noir qu’on ne se voit plus penser.

Ces galeries où je suis chaque nuit m’apprennent les mots que le jour je m’efforce d’oublier : m’apprennent des expériences neuves : les cruautés, les abjections, les violences sans raisons. Je rencontre des silhouettes qui m’infligent (et à qui j’inflige) mille sévices : la douleur est muette et j’ai beau crier, les parois autour ne renvoient aucun de mes hurlements. Maintenant que je le sais, je me tais, et la douleur avec mes cris disparaît.

Longtemps, j’ai cru que je me retrouvais dans ma tête elle-même, dans les recoins de ma conscience — j’avais été séduit par l’idée : mon esprit avait forme des souterrains d’une arène ; de quoi en être flatté. Mais les rencontres que j’y fais ne m’appartiennent pas — je n’y reconnais rien. Peut-être suis-je alors dans le rêve d’un autre ? Et je marche là, chaque nuit, pour jouer un rôle dans son cauchemar — mais je me fais fort quand vient mon tour, d’oublier mon texte : c’est là ma seule victoire.

J’ai essayé avec mes mains d’écrire mon nom sur certains murs, mais quand je me retrouve devant, je ne sais plus aucune lettre et je trace des alphabets nouveaux dont la grammaire et le sens m’échappent — et qui le lendemain sont recouverts par d’autres signes.

Quand je me couche, le soir, que je me retrouve ici, ce n’est pas la peur qui me saisit le plus, mais c’est de savoir d’où vient ce lieu, et vers où il me conduit.