arnaud maïsetti | carnets

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cette part monstrueuse

lundi 7 juin 2010



Back of your head (Cat Power, "Moon Pix", 1998)

Saw the back of your sweet mother’s head
Now I know that she thinks I am dead

Dans la plupart de nos vies, il y a cette part monstrueuse de soi à l’affut, derrière une rue plus oblique, sous un poids de souvenirs moins cachés, ou dans le crâne quand on se relâche, à l’aube et qu’on a finit de rêver mais pas de dormir. Revient la figure scarifiée d’une vie perdue : tel corps de désirs à s’emparer, tel endroit du monde où aller ; telle ligne à écrire qui aurait changé la face des choses, et qui s’est dérobée — mais qui revient, parfois, et s’en va de nouveau, mais à jamais.

Reflux des choses qui ne fait pas que répéter la douleur : qui la porte cette fois, et pour toujours, dans le passé qu’il inaugure.

C’est une chanson de Cat Power qui le dit le mieux — ou l’écriture de Cléo Roubaud dont j’ai achevé la lecture du journal ce matin, dans le dehors froid, la lumière la plus crue. Terrasses vides, et le vent qui fait tourner la terre autour ; mais moi, immobile, à me souvenir d’il y a combien de temps que.

Tenir haute l’image tremblante quand — et puis, ne pas réussir à la saisir qu’elle est déjà ; non pas effacée : dissoute dans d’autres images plus évidentes, plus faciles, inoffensives.

C’était un jour de chaleur intense, oui, c’est cela : et je sais bien qu’en écrivant sa poussière je saurai atteindre son cœur.

J’ai imaginé tout le matin ce livre que je n’écrirai pas, mais dont j’ai noirci les premières pages ce midi : cette histoire de terreur quand le mot prend une majuscule (et pas seulement dans l’Histoire) : et je suis revenu à ce souvenir ; c’est quand le jour au dehors était si chaud et le vol dans la main, si frais — et le mort qui respirait encore, dans la bergerie, et les leçons qu’il me fait : et les poires toutes serrées que je pose ensuite sur le coin de table en partant ; et ce n’est pas un souvenir. Juste un rêve que je fais autour de ce passé impossible qui m’approche par flots et qui n’arrive jamais à m’atteindre.

Alors, je me suis mis ce jour à l’écrire, ce livre, pour aller vers ce souvenir, qu’à la fin, je puisse l’entendre de sa bouche, qu’il me refuse — cela m’importe vraiment, parce que dans le souvenir, c’est ce jour là que le passé a commencé.