arnaud maïsetti | carnets

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Les lignes de désir_
Pierre Ménard

vendredi 2 juillet 2010

Une carte est toujours une forme d’abstraction. Et quand y demeure seul, le tracé des rues qui se croisent, bifurquent et s’éloignent, ce tracé révèle la délicate beauté du motif sous-jacent de toutes villes. Voir une ville telle qu’elle est quand on n’est pas là. Un tel désir ne peut être que contrarié, mais un désir contrarié, loin de s’éteindre, en est au contraire avivé. Il y aurait plusieurs rues, un panneau qui décrit le chemin qui mène à un autre. Devant le panneau, on est invité à imaginer, non seulement le lieu où il se trouve mais aussi la description du chemin qui mène au panneau devant lequel on se trouve. De là, ce labyrinthe de couloirs, de portes, d’escaliers, qui ne mènent à rien, de là, ces poteaux indicateurs qui n’indiquent rien, ces innombrables signes qui jalonnent les routes et ne signifient rien. C’est comme arrêter le temps au moment où la vérité devient hallucination. Tout lieu est une stratification, c’est-à-dire la somme des différents moments de son histoire.

Un jour pas l’autre. Dans le hasard, dans le transport résiduel et dans la peau humide. Ensuite le corps réduit à la trace le nom de sa forme. La nuit est ravissante, inavouable. Là où la bouche, elle-même prononcée par l’autre bouche. Le langage dedans l’oreille dedans la fouille la morsure essentielle. La force dépend de l’exactitude. La distance seule est événement. Le recommencement est passage. Ce qui est à dire. Mais bouge le reste et c’est bien. On se bouscule pour le pain jeté ou bien la stupéfaction du baiser. Seule issue possible. La lenteur dans la marche. Nous comme un jeu. Partout l’obstacle. Comme la pensée la lumière. En sommeil le blanc du linge. Effacement progressif du geste. Demain si tout de suite heureux. On ne peut vivre sans vivre. Et chaque défaut dilaté. La sangle résiste. Comme on fait semblant d’avoir perdu son temps. Déroutant de lenteur. Dehors dedans. Marcher risque l’espace. Nulle composition, nulle invention. La distance qui sépare. Mon très lent paysage.

Pierre Ménard



Le premier vendredi du mois, depuis juillet 2009, est l’occasion de Vases communicants : idée d’écrire chez un blog ami, non pas pour lui, mais dans l’espace qui lui est propre. Autre manière d’établir un peu partout des liens qui ne soient pas seulement des directions pointant vers, mais de véritables textes émergeant depuis.

Pour les Vases communicants #13 — un an après les premiers échanges —, j’accueille Pierre Ménard dont l’activité poétique tend à investir (et à inventer) toutes les possibilités de l’écriture numérique : le site liminaire est devenu un espace d’expérimentation à la fois radical et mouvant, accueillant des dispositifs (sonores, textuels, photographies, ateliers d’écriture…) qui renouvellent sans cesse son propre champ.

Le texte reçu aujourd’hui dans mes carnets est un extrait des "lignes du désir", en cours d’écriture et accueilli dans les passagers de la nuit, sur France Culture.

En retour chez lui, prendre pour point d’incitation ce mot puissant qui nomme son site, et essayer d’en interroger le sens, le mouvement, l’enjeu. Merci de son accueil.


D’autres vases communicants ce mois
 (merci encore à Brigitte Célérier pour le travail de veille) :

 Christophe Sanchez et Kathie Durand
 Loran Bart et Christine Jeanney
 Anna de Sandre et Jonavin
 France Burghelle-Rey et Florence Noël
 Landry Jutier et Brigitte Célérier