arnaud maïsetti | carnets

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recommencer le jour

lundi 16 août 2010

Le haut étang fume continuellement. Quelles sorcières va se dresser sur le couchant blanc ? Quelles violettes frondaisons vont descendre ?

A. R



Dawn (The Cinematic Orchestra — ’Man With A Movie Camera’, 2003)


Reprendre en l’état — non ; mais retrouver la table et les livres, et les chantiers ouverts (la route que la ville construit, à deux pas d’ici, est un terrain vague défoncé, je l’ai vu à mon arrivée hier ; je prendrai des photos tout à l’heure).

N’avoir pas touché une ligne (en avoir oublié le goût d’encre de Chine de l’ordinateur) : avoir lu seulement pendant vingt jours, Michelet, Pavese — les Fictions de Borgès pour finir, ou pour recommencer.

En l’état, les choses ne se reprennent pas : la vie a passé sans moi sur tout ceci qui ne m’appartient plus. Il y a la maison à apprivoiser, l’espace, chaque moment du temps — réinventer un rituel qui pourrait fonctionner.

Sur chaque objet, et sur le texte commencé, une forme de question impossible : si on les reprenait là où on les avait laissés, est-ce qu’on ne risque pas de tout perdre ? C’est ce risque là qu’on emporte avec soi quand on part, mais qui nous attend au retour.

C’est peut-être aussi pour cela qu’on part. (Qu’on revient ?)

Entendu à la radio ce matin, à propos des inondations au Pakistan, que j’ignorais : "Quand on arrive dans cette ville, il y règne, pour nous occidentaux, un peu comme une atmosphère de fin de monde". Et pour eux, non-occidentaux ? Réapprendre les usages du réel, les violences et les insultes : c’est aussi cela que voulait dire partir. Mais on ne s’y fait pas : c’est aussi cela, revenir.

Les choses en l’état ne se reprennent pas — impossible de revenir au point où on était : le ciel, lui, n’a pas attendu pour tourner.

Du jour qui se déchire (l’aube recule sur la ville : elle a perdu une heure depuis mon départ), en recommencer la tâche, insignifiante, dérisoire, sans laquelle mourir.

Appeler les sorcières, et fouiller le ventre du jour pour en dégager le cœur, et les entrailles peut-être ; en retrouver le goût.