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fenêtres (sur Cour d’Honneur)

mardi 17 août 2010


essai de définition du mot (et de l’image réelle)



FENÊTRE — (fe-nê-tr’) s. f.

… les fenêtres donnent sur la cour, la maison est vide, il est interdit à l’intérieur de prendre des photographies pour ne pas endommager les murs ; on reste alors dehors à regarder ce qui nous regarde, oeil mort comme aux statues ces globes blancs et vide, mais ici c’est le noir et l’ouverture dégagée sur un vide plus grand encore qui est l’intérieur du palais — dehors, depuis la cour d’honneur, on compte les fenêtres comme des regards possibles, comme des possibilités de regarder l’intériorité du vide.

1° Ouverture ménagée dans les murs d’une construction pour introduire le jour et l’air à l’intérieur.


… fenêtres découpées au hasard, disposées selon un ordre aléatoire, en fonction des plans de l’intérieur dispersé, plafonds chevauchant les sols et rebâtis, et démolis — et les fenêtres comme seules traces des aménagements internes : fenêtres tapissées sur le mur en regard de quel extérieur, et pour quel jour.

Fenêtre rampante, fenêtre en talus, qui ne donne qu’un jour de servitude.


… fenêtres tout simplement en regard : ménagement des solitudes, fenêtres isolées les unes des autres — comme sur un visage mille âmes éparpillées.

Fenêtre dormante, ou à verre dormant, fenêtre qui ne s’ouvre point.


… et fenêtres qu’on est bien obligé d’enfoncer, à poings fermés, dix ou vingt mètres au-dessus de la tête : et sans désiller la façade pourtant.

Fausse fenêtre, fenêtre dont il n’y a que les tableaux, dont l’embrasement n’a jamais été pratiqué ou a été bouché.


… fenêtres closes sur elles-mêmes parfois : portes aveugles, cloisons donnant sur le vide et qui interroge ; question posée par personne, mais à tous.

Se mettre à la fenêtre, passer la tête en dehors de la fenêtre.
« Il est demain fête, les marmousets sont aux fenêtres », se dit quand on voit bien des gens qui regardent par les fenêtres.


… alors fenêtres percées par d’autres fenêtres invisibles, en elles écloses : mais qu’on se penche aux fenêtres depuis le dehors, et on ne verrait que le vide dedans qui soutient le regard.

Fenêtre feinte, celle qui est figurée pour en accompagner d’autres qui sont réelles.


… et bien sûr ces fenêtres irréelles à la beauté de récits épais, allégoriques et fantasmés : aux fictions ouvertes sur la dernière page blanche (il y a toujours cette page blanche après la dernière page d’un livre), fictions possibles des ouvertures percées sur le noir des couloirs où quelque chose, quelqu’un nous attend.

Fenêtre gisante, celle qui a plus de largeur que de hauteur.


… ou alors fenêtres coupante sur le murs de pierres irrégulières : plaies béantes, à y plonger la main toute pour en agrandir la blessure, le désir ne cesse pas — rêve d’une fenêtre qui aurait la forme d’une main.

Fenêtre rustique, celle qui a pour chambranle des pierres de refend.


… et puis fenêtres frontières : séparation de la pièce en deux : la fenêtre comme ouverture forcée entre deux mondes — séparation du dehors en deux : d’une part le dehors éventré, d’autre part, le dehors coupé de lui-même : fenêtres qui multiplient les univers ; creusets des passages.

Fig. Jeter quelqu’un par la fenêtre, le faire sauter par la fenêtre, sorte de menace pour donner une haute idée de sa force.

… tandis que fenêtres rémanentes : persistent quand leur cause a disparu : le corps en bas porte trace de la vitesse imprimée par la hauteur de la fenêtre : la force, on la mesurera à l’ampleur de la silhouette répandue sur le sol : à l’écartement des bras : à la longueur de la coulée de sang ; fenêtres qui possèdent leur puissance dans la hauteur qu’elles accumulent pour éloigner la terre ferme sous elle.

Familièrement. Jeter tout par les fenêtres, dissiper son bien en folles dépenses.

« Sage mortel, j’ai su par la fenêtre / Jeter gaiement l’argent de mon tombeau » BÉRANG.

… vers fenêtres rapaces : y jeter par les fenêtres les fenêtres elles-mêmes : mais par où ? Folie somptuaire qui se heurte toujours à l’irréductible présence de ce qui reste du rien quand il n’y a plus rien.

« Il ne jettera pas son bien par les fenêtres », se dit d’un bon ménager.
« Si on n’y prend garde, il jettera la maison par les fenêtres », se dit d’un fanfaron.

… et fenêtres essentiellement superflues : on ajoutera autant de fenêtres que d’envies de s’y précipiter, et seulement pour se rassurer, se dire que c’est possible, que c’est là : qu’il suffit de. Un pas. Un peu moins qu’un pas même. Et on jette en bas tout ce qu’on possède avant d’y lancer notre propre corps qu’on ne possède plus.

« Chassez-le par la porte, il rentrera par la fenêtre », ou « si vous le faites sortir par la porte, il rentrera par la fenêtre », se dit d’un importun dont on ne saurait se débarrasser.
« Il est entré par les fenêtres », se dit d’un homme indigne qui arrive dans un corps, à une fonction par brigues et artifices.
« Il faut passer par là ou par la fenêtre », se dit d’une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire.

… peut-être fenêtres dramatiques : logique absurde de ces entrées et sorties de théâtre : par la fenêtre, on sait bien que seul passe le vent, et encore — il faut qu’on lui ménage un courant d’air, un couloir invisible de part et d’autre de la pièce. D’ici, en soufflant, on peut le voir passer et traverser les corps.

Fig. et familièrement. « Cette maison n’a ni portes ni fenêtres », cette maison est fort délabrée. `

… enfin fenêtres juges : maison de pierre et d’artifice, sans rien qui le soutienne, et dans les fenêtres noires, yeux perçants, n’y voir que du feu, n’envisager que la nuit qui vient, qui va venir, et tout recouvrir.


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