arnaud maïsetti | carnets

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Images classées | agenda du passé

samedi 20 novembre 2010

AGENDA
(a-jin-da) s. m.
Petit livret destiné à noter les choses qu’on doit faire.

J’oubliais la principale affaire ; je ne l’ai pas mise sur mon agenda. LESAGE, Turc. III, 9.

étymon — Agenda, choses qui doivent être faites, participe futur passif de agere, faire


Je reprends ici le texte écrit sur le tiers-livre, dans le cadre des nocturnes à la BU d’Angers : atelier d’écriture ouvert, entre les murs de la Bibliothèque et internet — lorsque je découvre la proposition d’écriture à sa mise en ligne, le 4 novembre, vers sept heures, impossible de ne pas me sentir obligé, de ne pas être plus incité à l’écriture. Texte écrit presque sans relire et posté sur le site : je ne touche pas une ligne ; occasion d’archéologie personnelle (et prospective, aussi) des usages numériques : où la photo comme l’écriture tracent de concert le mouvement incessant des jours.


Ma mémoire réelle commence en 2006 — avant, les années sont interchangeables, ou plutôt constituent des blocs sans image, par trois ou quatre. Maintenant (depuis 2006), tout différent : quand il me faut revenir sur une date, remonter le souvenir, j’ouvre ce logiciel dans l’ordinateur — iPhoto divise les images automatiquement en date : par jour. J’ai pour le moment 17 777 photos, dans 307 événements (c’est-à-dire : jour — j’aime que le jour pris en photo accède à la dignité de l’événement : dérisoire vanité, ma seule devant ces images). Je n’efface pratiquement rien. Effet de dilatation : combien d’heures vides ai-je prises, malgré tout, en photos, pour la seule raison que j’avais l’appareil en main ? Et combien de jours pleins ai-je laissé passer parce que je l’avais oublié ? Peu importe — la mémoire dilatée est tout ce que j’ai, me tient lieu de passé. Ce qui redouble l’effet de dilatation (et de perte) : les séries que permet et qu’encourage même l’appareil numérique : devant une ruelle sombre, qualité de lumière qu’on pressent féroce, essentielle, on se tient et à bout de bras, on prend cinq, dix, vingt photos. Pas de souci de la pellicule. Voilà : la journée tiendra sur ces vingt images prises en moins d’une minute, sans visée. Il y aura des mois sans image, mais cette minute prendra de la place sur l’écran, et ainsi dans la mémoire. Sur iPhoto, impossible de passer outre le classement par jour : mes séries (fenêtres, murs, blockhaus, contre-jour dans le soir, autoportrait en ombre portée) se prolongent sur ces années, mais je ne les regroupe pas, jamais — ce qui fait que je recommence, c’est leur éparpillement. Ne pas rejoindre l’image idéale, préconçue, mais la produire tant de fois qu’on pourrait l’oublier, qu’il faudra pour l’oublier. Et puis, sur l’écran, l’ordre incohérent de la suite réglée des jours pour répandre ces séries, après-coup. En 2008, cela s’est aggravé : ai investi presque la totalité de l’argent que pour la première fois j’avais reçu (ce n’était pas un salaire : mais pour la publication du livre) dans l’achat d’un Reflex numérique Olympus E-520. C’était inévitable : l’écriture et l’image circulent l’une par l’autre, d’un même arrachement au réel, d’un même désir de s’y confronter : vérification du jour dans le mot qui saura le nommer, et par l’image qui pourrait le voir. Alors, avec cet appareil, plus imposant peut-être, mais plus libre dans ses réglages, apprendre d’autres ruses dans la captation du jour : je ne suis pas photographe, je ne plie pas l’appareil à l’image que je veux produire — ni à la recherche de l’instant décisif. Mais j’essaie de mieux voir, j’apprends. Dans le classement devant moi, le rythme des images s’est alors accéléré : images privées, contre-jour, ombre, et puis en 2009, montagne ; depuis 2010 : la mer. Journal des lieux où j’ai vécu. Mais toujours les mêmes photos, les mêmes angles de vue (éthique que je m’impose : ne jamais recadrer, ne jamais retoucher : pour cette raison que je disais — simplement vérifier le réel, ne pas le produire.) Toujours les mêmes images depuis quatre ans, donc, mais les dates changent, c’est ce qui importe. Je n’ai pas d’agenda, je ne tiens pas de journal intime, je n’ai pas de mémoire. Les images racontent, dans leurs béances et leurs oublis même, dans la dilatation, l’erreur, l’inquiétude, dans la répétition de voir, non pas de se souvenir, mais d’enregistrer le présent, un peu de ma présence aussi, dans l’œil qu’il envisage. C’est le calendrier d’un passé que j’invente à mesure, devant moi.