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Haute est la ville

jeudi 13 janvier 2011


Diderot remarque quelque part dans ses écrits sur les Salons comme la vie dans le tableau n’est pas l’esquisse d’un mouvement mais la possibilité d’une mobilité de l’image dont le spectateur est la mise en perspective. Le spectateur accomplit le tableau par les mouvements que son corps et son regard dessinent. En se promenant.

À travers les voies désolées des banlieues, j’accomplis les immeubles, les barres, et les écoles.

Jérémy Liron, Le livre l’immeuble le tableau (publie.net)


Haute la ville non pas seulement parce qu’on l’aurait bâtie en hauteur, mais aussi parce qu’elle creuse de ces profondeurs incertaines en soi quand on passe à travers elle, qu’on se sent regardé de si loin par les pierres comme on traverse.

Haute la ville est ce nom que j’aurais donné à cette marche, d’ici où je vis jusqu’au centre commercial. Ce n’est pas long. En dix minutes, on a rejoint, par les longues passerelles tendues à dix mètres du sol, et sur lesquels on a eu l’idée de construire tout un quartier.

Ce devait être à l’époque une prouesse, et mieux même : un progrès, une utopie. L’architecte a imaginé une ville au-dessus de la ville, dans ce quartier neuf qui avait besoin d’être habité. On y aurait circulé d’immeubles en immeubles sans jamais croiser une voiture. Il y aurait eu des grands espaces verts aussi. Des enfants qui joueraient. Le dessin de l’architecte avait sans doute sa part de grandiloquence ridicule, mais de bonne foi, j’imagine.

Aujourd’hui, les squares sont des lieux de deal aussi beaux qu’inimaginables. Il y a des fontaines vides, des buissons qu’on dirait en plastique. À partir du soir, c’est territoire de désœuvrement, on s’y perd sous des insultes. La lumière est fabuleuse, jaune sale plus sale encore, et j’y ai déjà croisé cadavres de rats qui viennent d’accoucher. On a construit la préfecture de police là, finalement (pas loin de la bibliothèque).

Aux formes de la marche, je dirai haute la ville quand elle nous prend de si haut, qu’on est ses racines, que sur les reflets des vitres sales, on ne voit que du ciel, comme sur les flaques d’eau répandues partout, que du ciel.

Haute est la ville qui passe au-dessus de la ville elle-même seulement habitée par des corps obscènes, si laids de pierre et de verre, des corps dressés à la verticale et qui ne touchent du ciel que son reflet.



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