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histoires du jour (Zeppelin)

mardi 15 mars 2011


Rock and Roll (Led Zeppelin, ’How The Best Was Won’, Concert 1972)


Ce soir, rien que des images diffuses de la journée, brisée, mais laquelle saurait la dire toute ?


Après-midi, travail autour de Giambattista Vico : relever cette idée, qui appartient à sa conception de l’Histoire éternelle idéale — cherchant une nature commune aux nations, Vico dégage trois coutumes humaines qui les rendraient, au-delà des différences, communes ; coutumes existant depuis tous temps et pour tous temps.
— 1. Toutes les nations possèdent des religions.
— 2. Toutes contractent des mariages solennels religieusement sanctionnés.
— 3. Toutes ensevelissent leurs morts.

M’être entendu dire, à mi-voix : il n’y a que les morts qui résistent encore. Oui, si nos nations ont réglé facilement et presque sans douleur les deux premiers points, reste le dernier geste. On brûle les morts, aussi — mais pas assez. Se souvenir d’avoir pensé : encore un effort pour sortir de l’histoire éternelle : pour mettre à mort l’éternité — une mince pellicule de terre nous sépare de la dignité d’être hors de l’histoire morte pensée avec arrogance par nos pères. La Religion, le Mariage relégués à des folklores civils. Reste encore un peu de corps avant la cendre. Vico, cherchant dans l’étymologie des mots leur nature même et leur sens explique le mot humanité par le latin humare : ensevelir, mettre en terre.

Encore un effort pour brûler ce qu’il nous reste d’éternité.


Non, ce n’est pas l’image de cette journée.

Plus tôt, j’ai réussi à obtenir les achevés d’imprimer des ouvrages de Koltès publiés aux éditions de Minuit. Retrouver le jour et le mois de publication — idée plus précise, au jour près, de l’incroyable maillage qui existe entre l’écriture, les créations des pièces, leur publication. Superpositions qui organisent des échanges. Lesquelles ? L’œuvre quand elle se constitue nie sa faculté à produire une masse cumulative qui l’informe. Restent quelques dates : 1er février 1988 (publication simultanée du Conte d’Hiver, traduction de Shakespeare, pas encore mise en scène par Luc Bondy, et de La Nuit juste avant les forêts, plus de dix après sa création dans le ’off’ d’Avignon) ; 10 décembre 1986 (publication de Dans la solitude des champs de coton, près d’un mois avant sa création sur scène) ; 23 juillet 1984, publication du premier livre publiée dans la maison d’édition de Jérôme Lindon, La Fuite à cheval très loin dans la ville, huit ans après sa rédaction.) Quelles logiques ? Comment vivre avec ces retards, ces anticipations ? Et puis, le jour qui suit ces publications (et même le jour même), se dire qu’il était déjà plongé dans l’écriture d’autres choses, qui occupaient tout — alors quand on tient le livre dans les mains, quelles mises à mort du passé saisit-on qui n’arrive pas à rejoindre, coïncidence d’aucun présent, construction d’une histoire toujours retard, spectre de l’œuvre ?


Mais non, ce n’est toujours pas l’image de cette journée — c’est une autre encore, qui les dit toutes.

En sortant du café où prendre des forces aux énergies vives, celles qui justifient la solitude et son partage surtout, croiser une petite foule regard levé au-dessus des toits. Là, dans le ciel, cette masse qui avançait sans bruit. Un Zeppelin. Plus tard, j’apprendrai les raisons, les mesures, le reste. Peu importe. Mais dans le signe, l’arbitraire, l’anachronisme moderne de la scène, tous ces visages tournés, inquiets, curieux, intrigués, qui repartiront en haussant les épaules ou jurant — et moi seul, là, mais comprenant le signe, et à distance, saluant l’étrangeté et la justesse, me sachant présent à lui accordé ; un dernier regard au Zeppelin avant de m’engouffrer dans le métro, c’est fini : je ne saurai pas avant de l’écrire que l’image serait suffisamment grande pour contenir tout cette journée.