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à suivre | hypermnésie.net, ciné-journal

jeudi 19 mai 2011


Ouverture, il y a quelques jours de hypermnésie.net, un ciné-journal, par Jérémie Scheilder.

Ici. Un journal, donc.
Un espace ouvert, mobile, où consigner le temps, le mouvement et les images du temps.
La pratique, sinon quotidienne, au moins la plus régulière possible, d’un cinéma qu’en d’autres temps on aurait dit direct. Retrouver, dans cette pratique, ce qui fait l’essence même du geste cinématographique : trouver, inventer le monde. Car c’est un certain rapport aux êtres et aux choses qui se dévoile ici, qui se construit dans l’accumulation des jours. Un rapport sous lequel, précisément, tout est à retenir. L’hypermnésie, ce serait cela, un état de l’être-au-monde. Où toute hiérarchie est abolie, où celui qui dit Je est sollicité indifféremment par les événements les plus hétéroclites.
L’hypermnésie, comme une contamination perpétuelle de toute chose par toute autre, un réseau sans fin et sans borne, un rhizome, transporté par les tendances contraires que prennent les flux qui nous traversent. Flux d’images, de sons, flux d’affects, de souvenirs, d’idées, flux de mots, de couleurs, de lumières…
Un journal donc, mais ici. Nulle part ailleurs qu’ici.
Un geste de cinéma.
Et qui ne construit pas une identité, un Moi qui s’exprime à travers ses goûts, ses choix, mais qui trace le contraire d’un clôture, qui dessine une ouverture dans et par une série d’attachements à la matière du monde.

J. S.

Est-ce un des points aveugles du net ? La présence de cinéastes sur le web est rare. Et pourtant, est-ce qu’il n’y a pas là un espace enfin libérée des gigantesques contraintes économiques qui entravent les auteurs ? Pour écrire, cela n’exige qu’un clavier, un écran : l’espace de la page sur le web est notre livre, notre page, notre phrase. Lue aujourd’hui, cette phrase de françois bon sur twitter : l’ambition d’un auteur passe aussi par son ambition de code. Oui, internet est support et forme et média et relation même de l’écriture et de la lecture.

Mais pour le cinéma ? Un scénario ne suffit pas à le faire advenir : art qui passe par la technique, qui est cette technique même, qui s’efface à force d’art.

Pour le cinéma, on assiste aux mêmes suicides qu’en littérature, en plus vaste. Les auteurs qui décident de ne pas faire le saut, les libraires, les maisons d’édition, cela ne concerne qu’eux, finalement. Les textes existent — une médiation se crée, petit à petit, et si les temps sont de combat (oui, le mot peut être un peu fort, en regard d’autres : mais essentiels combats aussi), le combat au moins possède son théâtre d’opération. Le net est déjà le livre, sa médiation, l’outil de fabrication et le geste même qui l’élabore.

Tout autre est le cinéma.

Pour une profession qui considère qu’à moins de 20M €, le film n’a qu’un petit budget — révélateur : on dit qu’il est un film-petit budget —, comment bâtir dans le jour le jour de sa fabrication, des créations à hauteur d’homme, en prise avec le réel dans son flux le plus tendu, le plus créateur ? Et pourtant, paradoxe, la création en cinéma a été littéralement libérée par les nouveaux matériels de prises de vue, micros, table de montage, aujourd’hui à portée de main, ou presque. Oui, un film peut se faire sans moyens colossaux : mais non, les films ne se font pas sans ces moyens, parce qu’il est une institution, le CNC, qui a droit de vie et de mort sur un film. Bref.

C’est une bizarrerie : qu’il n’y ait pas vraiment d’internet du cinéma aujourd’hui : pas (ou si peu) de cinéastes qui créent, fabriquent leur travail, font du web leur atelier. Je n’en connais pas d’exemple : je peux me tromper. Mais à part les sites vitrines, les sites promotionnels, pas de cinéastes qui prennent acte de la rapidité du web pour se réaliser. (Quel mot magnifique, que possèdent les cinéastes et qui nous manque, pour nos textes : réaliser un film, comme l’on dit d’un rêve.)

Jérémie Scheidler, qui est pour moi un compagnon de route depuis longtemps, et dans nos routes de solitudes, un appui essentiel pour moi, dans l’échange, dans l’accord au-delà des directions prises dans nos recherches est présent sur le net depuis quelques temps, par intervalles d’écriture selon chantiers en cours et réalisations. Il se lance dans le web-journal avec son outil : l’œil caméra, comme il dit (avec d’autres)

D. Vertov, L’Homme à la caméra, 1929

Jérémie ouvre ces derniers jours un blog : un ciné-journal. Dans la tradition du cinéma-direct, le site se propose de filmer la vie dans ses flux — ni autobiographie filmée, ni fiction pure : un geste de cinéma, oui : des films courts, plusieurs par semaines, qui prennent acte de la singularité web pour s’accomplir. Ou : pour se réaliser. Comme un rêve, un film.

À suivre, à voir — le web (le cinéma) s’invente(nt) aussi là.