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Thomas Vinau & Florent Lamouroux | Les Murs

mardi 23 août 2011


Ces derniers mois, la collection portfolio, que je coordonne avec Jérémy Liron, rassemblait ses forces, remettait à niveau ses gabarits et ses formats – merci à Gwen Catala pour l’aide précieuse, à François Bon bien sûr pour l’accompagnement et la confiance.

Désormais, on est paré, côté technique (mais ne pas hésiter à nous faire part de vos retours), pour publications plus régulières : c’est important. Pour nous, qui essayons d’ouvrir les dialogues entre plasticiens et auteurs ; et surtout pour les artistes eux-mêmes, qui pourraient trouver dans cette collection une manière d’exposition permanente en ligne, accessible via abonnements et dans les bibliothèques qui nous font confiance – cette collection portfolios : une façon neuve pour les plasticiens de présenter une démarche et de la proposer librement en dehors des galeries ou des catalogues.

Soit donc ce dixième texte de notre collection Arts et Portfolio : cinquante ans après la construction du mur de Berlin, plus de vingt ans après sa disparition, Berlin, ses murs, fascinent toujours. Le Mur : image centrale d’une ville que l’Histoire a faite mur : aujourd’hui, revanche de la ville sur le mur, ce sont les artistes de cette ville qui en ont repris possession : des dizaines d’entre eux, anonymes souvent, par jeu, par défi, en ont fait une toile immense sur laquelle ils fabriquent leur propre ville, scripturale, mentale, fantastique.

L’artiste Florent Lamouroux pose son regard sur ces murs : photographies qui sidèrent pour ce qu’elles laissent voir, mais aussi pour ces choix de cadres qui recomposent en retour ces murs et leurs signes – double regard. Et regard encore doublé par l’écriture de Thomas Vinau [1], dont le texte multiplie encore les recompositions du paysage-ville en notant une sorte de légende fuyante, écho lointain des cicatrices illisibles laissées sur ces murs comme autant de blessures, comme autant de marques visant à se réapproprier la ville.

Très fier et très heureux d’accueillir ce beau projet, ce dialogue fort, dans notre collection.

Ci-dessous, la préface rédigée par Jérémy Liron.

Le texte est disponible directement sur le site des éditions Publie.net
Et bien sûr, merci de nous soutenir en vous abonnant…


Toute cité est un état d’âme. Berlin est féconde, à ce que l’on m’a dit, en vastes murs aveugles dressant dans la ville des pans semblables à celui-là qui obséda Bergotte dans la vue que Vermeer fit de Delft.

Peut-être la ville s’érige dans ces mystères imposants, délibérément nus, dans cet aveuglement géométrique. Elle y prend sa tournure. On m’a dit aussi que l’ambition des grapheurs est d’y apposer leur marque, chacun plus visiblement que les autres, « bigger than the others ». Pour autant jamais les mots dans leur démesure ne concurrencent les hauteurs et les largeurs que la ville échappe. Hommes et mots criés silencieusement aux murs ne sont que passagers de ce qui en la ville les hante : béton, rumeurs, tumulte, dureté implacable.

Au bout du compte demeurent les murs, un vide, une surface opaque et entêtante. Et par les murs on se regarde soi-même aussi.

Réduite à ces pans, la ville n’est qu’opacité, butée, solitude, immobilité et silence. Les murs « témoignent seuls de par quoi la ville commande à ceux qui la font . » À leur dureté s’adossent les mots, s’inscrivent les présences fugaces, se frottent les corps auxquels s’accroche la folie ou l’ivresse de la ville.

Il suffit d’insérer dans les passe-vues des diapositives quelques fragments des emballages que sécrète la vie urbaine pour que, littéralement, s’inscrive par-dessus et en plus grand encore les slogans, les mots, les logos, les commandements publicitaires d’une fiction impersonnelle.

La ville appelle peut-être aussi ce vide spectaculaire (ou ce spectacle vide). Géométries mornes, marges, signes qui, comme le disait Manoel de Oliveira, « baignent dans la lumière de leur absence d’explication », les images qui adviennent alors sont des objets bizarres, fascinants et étranges, combinaison de signes ou de visées qui nous laissent entre-deux, entre le visible et le lisible.

Jérémy Liron


— Suivre l’actualité du plasticien Florent Lamouroux sur le site de la galerie Isabelle Gounod
— Lire le blog de l’écrivain Thomas Vinau


[1_Thomas Vinau a écrit un roman, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, qui sort ces jours aux éditions Alma : qui pour parler encore du numérique contre le papier ?