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La Ville écrite | regarde le ciel

lundi 24 octobre 2011


J’obéis aux ordres – sur le théâtre d’opérations, je reste à l’écoute des messages qui pourraient me sauver la vie. En remontant la rue Gay-Lussac, je prends la ruelle Royer-Collard qui monte vers le Panthéon, dans le froid plein de fatigue de cette journée passée comme jamais, et qu’on va se coucher assuré d’avoir donné le change, d’être allé au bout de ce que le corps pouvait offrir pour être à sa mesure, de joie et de violence. Soudain, dans ces pensées, je m’arrête comme on trébuche sur un souvenir venu en travers de la route pour interroger, démasquer, défier. Regarde le ciel. Je regarde le ciel. Moi, j’obéis à de tels ordres [1]. Je lève la tête lentement, je regarde le ciel, qui est là, aussi grand que possible. Moi, je suis celui à qui on demande de regarder le ciel et qui le fais, parce que j’aurais trop peur en négligeant les ordres de faire cesser l’ordre, et le ciel, et tout ce qui fait de l’ordre la condition préalable à la tenue de ce ciel. Je regarde longtemps le ciel ici, le ciel qu’il fait ici, rue Royer-Collard, ce minuit d’octobre qui vient de basculer de l’été à l’hiver, sans passer par l’automne. C’est un ciel invisible, qui par moments, tremble. Ou est-ce moi qui tremble. Je regarde mes mains. Elles tremblent. L’ordre disait de regarder le ciel. Je regarde de nouveau le ciel, entre mes cheveux mouillés. Il n’est plus là. À la place, autre chose : des bandes roses et noires qui s’en vont. Je rentre. Ce jour-là, j’aurai donc longé le fleuve en me cherchant un abri, j’aurai trouvé dans le Marais des eaux pour me pencher et mesurer la profondeur, j’aurai marché la nuit, marché la ville posée sous les pas pour la partager, et j’aurai donc regardé le ciel. Le ciel est la seule chose dans cette vie qui n’est pas définitif. Avec le fleuve, les abris, les profondeur de l’eau, les ponts raturés de mots d’amour et d’insulte, et la ville brisée comme des morceaux de verre qu’on se tend l’un à l’autre pour boire. Ce soir-là, dans les yeux, j’ai regardé le ciel.


[1_Quand je dépose cette image ici, je la vois de nouveau, et je découvre la rature, sous le mot ciel : terre. Je ne me souviens pas de l’avoir lu, ce soir-là. Ai-je contrevenu à l’ordre. Je ne vois plus que ce mot désormais. Est-ce le froid qui l’a rendu illisible à mes yeux. La ville renverse les positions, et moi, l’impression d’un contretemps irrattrapable. Quand vous passerez devant cet ordre, ne manquez pas de regarder le ciel, et la terre, pour racheter ma faute.