arnaud maïsetti | carnets

Accueil > AILLEURS | VOYAGES > Milan #5 | Pierres levées d’un rêve fasciste

Milan #5 | Pierres levées d’un rêve fasciste

En faisant face

dimanche 12 juin 2022


Ville verticale, ville dressée à chaque pas devant soi et dont on est contraint de faire le tour, mais c’est une autre pierre qui se lève alors il faut se rendre à l’évidence : on est au-dedans d’une ville qui n’exposera que son dehors, sa surface, sa peau rugueuse et âpre — Milan ville levée, c’est l’une des premières pensées qui s’impose : ville posée au-devant de soi-même, ses palais dont on ne verra rien, ses murailles qui fabriquent sa matière : Milan, ville qui n’est plus qu’un mur, mur répété mille fois sur quelques kilomètres à la ronde.

Et puis, il y a ce que disent les pierres. Je ne sais rien de l’histoire de l’architecture de ce monde, de ces villes — je regarde. Et je me trompe sans doute en disant que sur la plupart de ces façades se lit le rêve fasciste : il aura trouvé là à se former dans d’autres étoffes que le pur rêve, mais en chair et en pierres réellement levées jusqu’à faire ces bâtiments publics, ces postes, ces commissariats, ces banques (sur l’une d’elle, le mot « populaire » vibrait avec cette ironie terrible que possède la langue fasciste). Certains bâtiments ne semblent avoir été bâtis qu’afin que Mussolini y tienne discours depuis ces balcons. À leurs côtés, tout paraît contaminé d’une aura fascisante. Les magasins de luxe comme les basiliques bâties avant l’avènement du fascisme, les voitures inventées bien après la prétendue mort du fascisme, et les attitudes des hommes qui m’entourent et la prolongent pendant que je marche et me perds. Il faut aller entre ces obscénités là aussi : ces angles de rues droits, coupés à la pierre, et qui dessinent des perspectives aussi fascistes que ces banques.

La pierre est ici sans pitié, sans honte : elle s’impose. Elle n’a pour elle que ses angles et sa dureté, sa force virile et bête. Contre elle, il y a pourtant des statues qu’on a posées sur certaines des façades : elles sont d’une mélancolie absolue, paraissent porter le poids des siècles, ceux passés, et plus étrangement : ceux à venir. Ces statues font honte à l’arrogance fasciste dont elles émanent, et en sont, aussi, le désespoir.