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Vang Vieng | Refuge de far-east

Pour bagpackers revenus de tout et échoués ici

jeudi 30 janvier 2025


Janvier - juin 2025 : remonter le cours du monde par l’est.

— Le sommaire

 #1. Bangkok, ville furieuse
 #2. Ayutthaya & Sukhothai, ruines de ruines
 #3. Chiang Mai & Chiang Rai, vestiges du Lanna
 #4. Descendre le Mékong
 #5. Luang Prabang, d’or et de cendres
 #6. Nong Khiaw & Muang Ngoi, où va le nord Laos
 #7. Ban Phong Van, sources de l’or blanc
 #8. Xieng Maen, de l’autre côté
 #9. Kuang Si, ce qui tombe
 #10. Le Tak Bat, d’aubes en aubes
 #11. Vang Vieng, refuge de far-east
 #12. Vientiane, capitale intempestive
 #13. Les Quatre Mille Îles, et davantage de ciels
 #14. Champassak, à la lune recommencée
 #15. Phimai, perspectives futures du passé
 #16. Dans la jungle de Khao Yai, fragments sauvages
 #17. Bangkok, derniers feux
 #18. Sydney, dans les reflets, la ville dressée
 #19. De Sydney à Melbourne, la Ligne Bleue
 #20. Melbourne, ville sans promesse
 #21. De Melbourne à Adélaïde, The Great Ocean Road
 #22. Adélaïde, lenteurs et effacements


De Vang Vieng, moins ville que refuge de far-east couvert de poussière pour bagpackers revenus de tout et échoués ici, posée autour de montagnes si belles qu’il a bien fallu y enfouir des bars douteux pour donner le change.

Vang Vieng, province de Vientiane, Nord-Laos : la ville qui n’en est pas une, s’efforce de sembler telle et ne parvient qu’à peine à lever son théâtre où les backpackers jouent leurs rôles mal dirigé par une mise en scène approximative. Les rues, quadrillées de bars aux noms interchangeables, dessinent un patchwork de néons criards et de slogans aguicheurs : « Happy Shakes », « Tubing Paradise », « Beer Lao 2-for-1 ». Tout ici paraît conçu pour séduire son public transitoire, autant de présences éphémères qui trainent leurs sacs à dos comme des fardeaux d’un autre monde.

Derrière la façade de fête perpétuelle, une autre histoire fatalement se raconte. Les montagnes karstiques regardent la scène avec leur indifférence millénaire. La Nam Song serpente au milieu de ce chaos organisé, pourrait témoigner de l’époque où la ville existait pour elle-même. Les vestiges du passé colonial – architecture hésitante, pont en béton qui n’a jamais vraiment su s’allier au paysage – se mêlent à l’héritage plus récent des années de décadence : des panneaux rouillés vantant des « Full Moon Parties » qui n’ont jamais eu lieu.

Et puis il y a les acteurs principaux : les voyageurs venus du monde entier, jeunes pour la plupart, qui cherchent ici quelque chose qu’ils ne savent pas nommer ; ils n’ont pas renoncé, pas encore. Ils flottent sur des chambres à air le long de la rivière, bière à la main, ils rient trop fort pour oublier qu’ils ne savent pas pourquoi ils rient. Certains s’égarent dans les grottes ou grimpent les falaises, louent leur place pas très chère dans des monglfières qui s’envolent au soleil couchant pour voir le jour disparaître et la ville s’éloigner. La plupart espèrent que la nature leur offrira cette révélation que les bars se refusent à leur donner.

C’est ici, quelque part entre ces rues, mais où, que la CIA a mené sa guerre secrète au Laos contre le Vietnâm proche. Là que décollaient les hélicoptères de combat d’Air America, là que se tenaient les interminables briefings qui décidèrent de la contre-guerrilla anti-communistes. Qu’en reste-il ?

Vang Vieng se lit comme en palimpseste : une couche après l’autre efface son histoire, comme le nom colonial jeté sur elle comme un crachat a recouvert l’ancien — Mouang Song. La CIA préférait l’appelait Lima Site 6 (il y en avait donc cinq autres, au moins ?) Le tourisme de masse a remplacé les bombes américaines, le bruit étouffé du premier ravage tout aussi sournoisement. Elle ne se comprend qu’en fragments. On avance sans oser la regarder en face, ou seulement en passant, les façades mal peintes, autant images faussement jointées. On tâche de n’être qu’un passant, oui, et d’emporter dans sa chaussure un peu de sa poussière. Vang Vieng, la ville qui doutait de son existence et offrait au voyageur un miroir recouvert de buée.