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Koltès | « amour en dialectes inconnus de tous »

lundi 27 février 2012


Koltès, Nouvelles III, Hôtel Santana, sept-oct 1978

Il est des endroits du monde où ne se parle aucune langue, enclos fermés, zones de transit, îles et oasis sans drapeau officiel, sans heure légale, sans mœurs, sans histoire que celle du jour, de table en table, de personne à personne, d’étranges idiomes compliqués, de tous les mots de toutes les langues entendues et mêlés et simples au point que tout ce qui est essentiel se comprend immédiatement (mais les Nord-Américains disent d’un air agacé : you don’t speak english ? et froncent le sourcil).

Personne ici ne parle de langue maternelle et personne ne l’entend parler, personne n’aborde personne dans une langue définie (sauf les Nord-Américains qui insistent d’un air incrédule : really, you don’t), sujet polonais, verbe espagnol, adjectif italien, complément français, interjection anglaise, colère russe et secret yiddish, menu allemand, rire grec et ivresse portugaise, malaise néerlandais, bain turc et sommeil arabe, tendresse tchèque, baiser hindou, amour quaotchikell, soutouhill, quiché, amour en dialectes inconnus de tous (mais les Nord-Américains crachent d’un air de dégoût : well what kind of langage can you speak ?).

À l’Hotel del Lago, à l’heure de la musique, de la beuverie et des bagarres, s’élève un murmure mystérieux fait de messages urgents et de mots nécessaires, de cris d’oiseaux et des jappements des chiens rôdant autour des tables.