Accueil > RECHERCHES | ARTICLES & COMMUNICATIONS > Présences de Valérie Dréville | notes sur Acteurs de Cristal, de Yannick (...)
Présences de Valérie Dréville | notes sur Acteurs de Cristal, de Yannick Butel
mercredi 11 décembre 2013
Ces notes portent sur le documentaire Acteurs de Cristal, un entretien avec Valérie Dréville, de Yannick Butel — 52 min.
Présentation par le producteur, sur le site Pays des miroirs :
Qu’est-ce que la « présence » d’un acteur ? Le documentaire s’intéresse à la « cuisine » d’un métier, à « l’arrière-cour » et aux « petits secrets » qui permettent à l’acteur d’habiter la scène et de la rendre vivante. Et ainsi, de donner au spectateur le sentiment d’une intensité parfois jamais égalée. Le mot « présence » désigne en définitive un lien accru au vivant et à la vie.
Avec Valérie DREVILLE, Frédérique DUCHENE et Serge MERLIN.
Ce qui reste de certaines phrases prononcées par un acteur — une actrice — sur son art n’est jamais comme un terme fixé pour toujours ou comme le sont ces vérités qui arrêtent l’expérience, plutôt et au contraire peut-être, comme des éclats. De verre, de lumière — mais il faudrait se passer d’image, pour simplement poser le mot éclat, ainsi —, des éclats qui soudain précisent et s’effacent, comme une cristallisation transitoire, valable en temps présent — ou comme on avance dans le noir avec seulement ses mains tendues qui travaillent à faire exister l’espace au-devant de soi à mesure qu’on avance. Et nous derrière, qui percevons l’espace seulement parce que les mains en circonscrivent les bords, qui s’agrandissent.
Un usage du corps et de sa possibilité ; un usage de la parole pour dire, après ou avant, ce que veut dire approcher le soir pour dire les mots et jouer le temps
(cette phrase d’Artaud :
Nous voulons faire du théâtre une réalité à laquelle on puisse croire, et qui contienne pour le coeur et les sens cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie. De même que nos rêves agissent sur nous et que la réalité agit sur nos rêves, nous pensons qu’on peut identifier les images de la poésie à un rêve qui sera efficace dans la mesure où il sera jeté avec la violence qu’il faut. Et le public croira au rêve du théâtre à condition qu’il les prenne vraiment pour des rêves et non pour un calque de la réalité ; à condition qu’ils lui permettent de libérer en lui cette liberté magique du songe qu’il ne peut reconnaître qu’empreinte de terreur et de cruauté.
des éclats, d’autres échos.)
La morsure du théâtre et son éclat de verre, de lumière — l’immanence d’un geste enfin débarrassé de la verticalité manifeste d’une transcendance qui faisait jadis du destin l’amont de l’expérience, quand il est, on le sait désormais, ce qui demeure, le reste à accomplir.
Artaud toujours :
« Le sacré est une transformation, en terme de qualité, de ce qui n’est pas sacré au départ, Le théâtre passe par des relations entre les hommes qui, obligatoirement puisqu’ils appartiennent au monde des hommes, ne sont pas sacrées. L’invisible apparaît à travers le visible qui est la vie des hommes... »
La cristallisation possède cette qualité de n’être pas la vérité fixée et intangible, mais sa stabilisation dans une certaine condition, température et milieu : quelque chose de transitoire et perceptible comme tel, labile, condensation ponctuelle, amalgame — transitive (et confiée) ; un champ d’énergie, ce qui se dresse successivement dans le réel, oui comme l’est le temps, ce que l’on nomme présent, une qualité d’attention à ce qui passe et va advenir : une qualité de présence à ce qui est au bord de soi l’instant où cela va basculer.
Et sur tout cela, un visage qui en porte le miracle.
Valérie Dréville — si juste — commençait par évoquer la peur — ne pas avoir peur d’avoir peur (déjà une peur) : comme le paradoxe du menteur (le menteur qui dit : cette fois je dis vrai) ; non pas un paradoxe, plutôt, oui, un saut, quelque chose qu’on laisse en arrière de soi, comme on laisse avant d’aller rejoindre les vivants la mort derrière soi peut-être.
Elle disait aussi qu’un acteur est tout constitué de son propre vide, et que c’est du dehors, par l’autre et les choses qui enveloppent le corps de soi, attentif à ce qui va bouleverser, déplacer, envahir, qu’elle s’emplit, peut-être.
Valérie Dréville — si précise — disait, dans le documentaire, que l’expérience n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce qui reste à vivre : qu’un homme d’expérience est un être du possible, peut-être.
Elle ajoutait — si dense — que la tragédie se jouait le cœur chaud, et les yeux secs : qu’à l’autre revient tâche de pleurer, qu’à l’autre, ambassadeur du monde, comme le murmure, hors-champ, de pudeur et de présence invisible, Yannick Butel, dont on perçoit de temps en temps d’un souffle l’accord, le bouleversement, l’écoute active de celui à qui revient la parole, présence de qui assiste la parole, à laquelle il assiste, comme revient au spectateur la responsabilité d’être au monde, celui qui en regard de la présence, demeure peut-être.
Un mot sur Régy.
Valérie Dréville — si évidente — disait, dans le documentaire, qu’un acteur doit jouer avec l’ombre de son personnage, et travailler à en chercher la lumière : le mot lumière était venue seul, simplement, parlant de Médée, et de la façon dont on l’envisage habituellement, qu’elle tue ses enfants pour se venger, mais que si on changeait la magie noire en magie blanche, et tâchant de comprendre son geste comme consistant à couper avec l’amour mortelle et noire de Jason, alors on sauvait un peu Médée de sa noirceur, en travaillant à cette issue lumineuse : cette empathie du corps glorieux pour l’indéfendable, parce que le théâtre est le lieu où sauver ce qui se peut, peut-être.
Elle continuait — si manifeste — disant que sur scène il ne s’agissait pas d’être, mais de faire, qu’être est à l’origine, et à la fin, qu’il ne s’agit pas d’un travail, que comme l’émotion est produit mais non une production de l’être, que l’être ne saurait être qu’un résultat, fruit d’un arrachement, peut-être.
Valérie Dréville — si présente — disait, dans le documentaire, la présence, peut-être.
Elle se souvenait — si forte — que face à un public indifférent et arrogant, elle souffrait, jusqu’à ce qu’un metteur en scène lui dise : tu ne joues pas pour eux, tu exerces ton art en leur présence, et dans ce renversement, je ne sais plus désormais lequel assiste qui, du public ou de l’artiste : assister l’accouchement, assister à la naissance, peut-être.
Valérie Dréville — si intense — disait, dans le documentaire, qu’on ne jouait pas avec du soi, qu’il s’agissait, quand on rentrait sur scène, d’ajuster sa ligne de vie avec la ligne de vie du personnage, que c’était ce frôlement qui s’appelait le jeu, et que dans ce frôlement, se jouait toute la vie quand on la donne et la garde : peut-être.
Elle — si belle — parfois, dans le documentaire, se taisait, et son silence était plein, pudique, juste, empli de tout ce qui reste irrévélé tant qu’on l’éclaire, lumière du dit, peut-être.