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Lecture | Autour de ce que nous sommes

mercredi 27 mars 2013


note du vingt-sept mars.

Merci aux organisateurs encore pour l’invitation. Merci aussi aux amis de la table ronde : ils le sont tous.
Juste : il n’y avait pas d’enregistrement, cet après-midi de lundi où j’ai lu ce texte, au Salon du Livre. Puisque le texte a été écrit pour que je le lise, j’enregistre ce soir une lecture brute, seul dans la chambre, c’est étrange. Du moins les mots sont là, devant moi, qui m’aident à les dire (comment écrire cela autrement ?). Il y a de la musique au loin, c’est celle de l’ordinateur, que j’ai oubliée d’enlever (je ne l’entends plus). Peu importe. Je pense à cette solitude féroce quand il s’agit de lire devant le silence des autres, à cette autre solitude quand on est seul, je pense à cela qui se dit quand on lit, aussi. Je pense à cela, ce soir, que j’oublierai. Et à Janis Otsiémi, surtout – au nom de son absence pour laquelle j’aurai écrit ce texte.


lecture brute


le vingt-cinq mars

Texte lu à l’issue de la table ronde "L’avenir de la création" au Salon du Livre 2013.

Pour Janis Otsiémi


Nous sommes tous autour
C’est le même monde le même lieu
D’un endroit du monde où l’on dirait
C’est le même
Et nous autour
On le reconnaîtrait le même
À sa manière d’aller autour de nous
De passer en hurlant
Que le monde est le même
Et que nous sommes ici
Pour pouvoir le parler
Dans la bouche peut-être
Pour pouvoir dire
C’est de là, issus d’où nous sommes
Que nous sommes, autour de lui
Venus et qu’il faudra
Peut-être oui qu’il faudra bien
Dire que nous sommes autour tous
De ce que nous sommes

Nous sommes tous autour
Comme d’un grand trou de ville
Creusé avec les ongles et les corps de ceux qui à force
N’en avaient plus
Vous les connaissez vous connaissez leurs noms
On les pose parfois
Sur les rues pour nommer les rues
Et savoir où nous allons quand dans la nuit
Nous allons dans ces rues
Et du grand trou de ville il ne resterait
Que cette ville et les corps dessous
Pour pouvoir la marcher
Les corps dessous sans nom et sans date
Seulement dans nos mains un peu de terre
Qu’on avale le soir quand la ville se recouvre
D’autres villes que la nôtre et que nous disons
Viens je suis fatigué maintenant
on verra ça
Demain
Et que c’est le soir et que nous marchons
Dehors pour marcher cette nuit même

Nous sommes tous autour
Et sur l’écran posé
Tous autour de l’écran allumé tous
Qui disons c’est par où
Et comment
Et je ne sais pas faire
Et comment font les autres
Et je n’y connais rien
Et je ne suis pas celui qui sait
Alors avec les doigts avec les mains
Avec toutes les terminaisons de l’être comme poussés au-devant de soi
Comme on caresse le corps de celui qui désire dans son corps
Être caressé du corps de celui qui le désire aussi tellement
Alors on va dans cette nuit même
Avec les doigts avec les mains qui ne savent pas
Sur l’écran posé devant nous
Dire les mots qui disent je ne sais pas comment
Et tous ces mots sur l’écran finissent par dire
Nous sommes tous autour
À dire cela, dans tous les mots différents
Pour le dire et parfois pour l’arracher tant
Que tu ne sais pas me lire
Que les mots sont trop longs
Et qu’il faudrait dire plus simples
Qu’il faudrait simplement dire que la ville
Là, en bas, est la mienne, et les corps dessous aussi

Nous sommes tous autour
Entendez vous marcher
Comme le bruit de pas qui seraient les vôtres
Mais dans votre lit vous dites non
Qui vient
Vous dites on voudrait dormir
Cela fait un bruit de clavier un bruit de
Vous ne savez pas
Vous cherchez le sommeil
Qui ne viendra pas
Tant que d’autres que moi et comme moi
Feront ce bruit qui vient et qui n’approche jamais
Et moi aussi je cherche le sommeil
Je dirai
Moi aussi je cherche je cherche et je ne trouve que vous
Qui dans les lits dormez et qui ne voulez pas
Que j’emprunte vos peaux et vos mains pour me cacher
Dans mes mains
Et que je puisse voir mon visage enfin

Nous sommes tous autour
Du cadavre secoué
De quelque chose en nous de pas assez mort
Et qui résiste
De pas assez disparu
De pas assez là encore
En soi pour être hors de soi le monde et ses lumières
Et le cadavre dit : je suis autour moi aussi
Je suis moi aussi autour
Alors on lui fera la place
Nous serons tous autour à lui faire la place
Et quand il sera là, simplement autour, lui aussi, de nous
Quand il sera là, le cadavre de quelque chose en nous de pas assez mort
C’est lui qui nous consolera
C’est lui qui nous consolera

Nous sommes tous autour
Comme autant de cercles
Et autour de ces cercles
D’autres
Qui cherchent parfois
Des lignes
Des lignes comme des points alignés en lignes
Qui feraient soudain
Comme
Des traces dont on produirait la distance
Et nous serions la distance de loin en loin
Derrière l’écran qui raconterait chaque matin
Le rêve de chaque matin
Et la chaîne des rêves d’aube en aube
Dirait la distance est ce qui sépare l’image de son reflet
Tu le sais déjà
Miroir de l’au-delà
Alors pose ton visage sur le miroir et ouvre les yeux là
Maintenant

Nous sommes tous autour
Et ce n’est pas d’hier
Ni de demain
Que l’avenir
Ni de demain
Que l’avenir nous débarrasse
D’hier
Encore
Encore que nous
Nous sommes tous autour encore
Et vous, autour de qui sommes nous

Nous sommes tous autour
Et les raisons manquent
Comme au dernier laissé
Et l’écran devant nous
Qui porte le nom de Janis Otsiémi
Janis Otsiémi tu répètes son nom
Parce qu’il n’est pas là
Et qu’à force de le répéter tu ne feras que lever son absence
Autour de nous
Qui demeure
Janis Otsiémi c’était le nom de ton absence
Et dans lui où tu parles il n’est pas là que de silence
Mais le silence aussi est à lui
Qui autour de nous se forme
Et nous
Nous sommes tous autour de lui

Nous sommes tous autour
C’est le même monde le même lieu
D’un endroit du monde où l’on dirait
C’est le même
Et nous autour
On le reconnaîtrait le même
Mais toujours différent le monde qui va
Comme on respire
Et l’on respire parfois
Un peu moins quand le monde va
Comme il va
Parfois on préférerait plutôt que respirer
Cracher oui pourquoi pas c’est une idée
Ou crier, c’est la même
Ce n’est pas la même
Crier il faut parfois un son
Crier il faut parfois juste assez d’air
Pour ne plus avoir assez d’air
Et ensuite, après crier, il suffit de trouver un mot
Dans la ville laissé quelque part
Territoires de fiction à reconquérir
Et ça s’appellerait parler
On ferait cela avec les mains
Cela serait
Écrire peut-être oui
Écrire et cracher et crier et respirer
On appellerait cela
On n’appellerait pas cela
Pour appeler cela il faudrait
Oui
Qu’on soit tous autour
Pas morts
Tous en colère des autres
Il faudrait qu’on sache voir dans le cri
La couleur des yeux de celui qui dirait
Ce n’est pas vraiment un cri
C’est crier en respirant et
C’est cracher avec le mot qui dirait
Un mot après l’autre
Je ne suis pas là pour cracher
Je suis là pour dire
Simplement et doucement la tendresse de te dire je suis là aussi pour toi qui l’ignore
Là pour dire dans les phrases inconnues de moi
Les endroits de la ville où ce serait possible
Cela
Ou ce serait possible
La vie
Qui serait possible

Nous sommes tous autour
De la possibilité
Grandissante de la ville
Et des corps dessous
Et sur les écrans posés
Les noms qu’on aligne
Pour dire les mots qu’il faudrait dire
Pour être tous autour
Et ce n’est pas d’amour
Pas d’amour seulement
En tous cas pas celui des traités à signer et des contrats
À honorer les contrats
C’est l’amour des draps jetés sur les corps
Et comme on écarterait les cheveux pour atteindre
Au sexe commun du corps
Le sacré de ce qui n’appartient qu’à ce qui nous dépossède
Le sacré de ce qui a un visage et un corps
Et dont le visage est le tien comme le corps
Le sacré
De toutes les vies communes
Du corps dressé pour pouvoir dans le corps
Dire la présence de tout ce qui nous appartient au présent
Du corps levé maintenant comme on dirait je suis là
C’est l’amour d’une ville comme on la marcherait simplement
Parce qu’elle n’est pas à eux
Pas à ceux qui prennent le car pour la marcher le dimanche
Nous, nous sommes autour
Et c’est pourquoi nous préférons la nuit
Pour les draps jetés pour les corps jetés aussi et pour la ville
Jetée aussi en travers de nos corps
De la morsure de nos corps
Autour desquels nous sommes

Nous sommes tous autour
C’est le même monde le même lieu
D’un endroit du monde où l’on dirait
C’est le même
Et nous autour
On le reconnaîtrait le même
Sur les écrans quand on l’écrit
Et peu importe les livres
Et peu importe le nom des livres
Tant que les phrases qu’on aura inventées
Pour simplement rendre possible la ville
Ou la possibilité de la ville
De cette vie qui serait possible si on pouvait la nommer
Tant que les phrases là seraient autour de nous
Celles qui diraient ce que nous sommes
Dans l’absolue séparation de nous
Et dans la terre d’où nous sommes levés
Où le soleil se couche à chercher le sommeil
Tandis que toujours nous marcherons la ville pour la fuir
Jusqu’au soleil
Alors nous serons, autour
Ce que nous sommes

Car nous sommes tous autour
C’est le même monde le même lieu
D’un endroit du monde où l’on dirait
C’est le même
Et nous autour
Et nous simplement autour de nous qui sommes