arnaud maïsetti | carnets

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crire

quand il a allongé le corps dans le silence végétal, il n’avait pas cessé de marcher, il était le corps dans le corps du chemin dormant, il avait le chemin dans la peau et le souffle, le chemin était de peau, tout le long, le long chemin de sa peau s’étirait sur toute la surface du monde, les pulsations à la dictée des pas qui l’habitaient, ça ne pouvait pas être l’inverse, pas autrement, il était l’être et l’avoir, lavoir et lettre qui s’écrivent et se noient, et quand je suis entrée dans la chambre, je n’avais pas quitté la chambre, depuis quatre siècles son corps était en moi tremblant et je me posai en lui tremblante sur une pierre blanche qui ne me dit pas son nom, et quand j’écrivis ce que me racontait le ciel, je n’avais pas cessé de ne pas écrire, je lisais encore comme on ne peut pas le dire, dans l’air, les coutures du vent, les lignes de la main, je récupérai le vers des autres aux pieds des cloches des cathédrales — je commençai d’apprendre à écrire pour la première fois dans la quête du sens à jamais perdu du tout premier vers, du tout premier chemin et de la mer, il fallait que je réfléchisse en lui et que je fasse réfléchir le monde en lui, que je le réfléchisse en moi, et que le monde se réfléchisse en nous pour revenir à son point d’origine en forme d’orgue, qui nous attendait depuis le début et s’était déporté loin dans la spirale de tant nous attendre, le chemin de peau, nous grandissions tellement au contact de la terre que la terre entière se faisait corps de nous, sur la pierre blanche au moins avais-je pensé cela, que la parole bascule dans l’oracle quand elle se fait miroir ; qu’est-ce qu’un miroir sinon l’objet qui rend l’événement possible, dans le silence végétal d’une chambre où veille depuis quatre siècles un vassal qu’un valet viendra réveiller sous un jour plus vert encore, et plus vieux, et plus vulnérable, l’oracle n’est que cela : des racines enroulées autour d’un roseau que le chant de la vie démêle petit à petit, et moi, je ne dis que cela : je dis qu’il faut aider les oracles, car ils ne sont oracles que par la parole, et l’écoute, et que si je viens l’entendre c’est que je l’ai toujours su en moi, et que je dois l’accompagner pour me rejoindre, ainsi l’ai-je laissé se pencher sur moi un an après la nuit de ma naissance parce qu’il fallait que cela soit en ce jour et en cette heure, et cela fut, il y avait pourtant moyen de temporiser, de se pencher un jour plus tôt, un jour plus tard, mais voilà, il fallait, et cela fut, j’ai aidé l’écriture à se réaliser précisément parce qu’elle s’était présentée à moi sous la forme d’une image : je passai des mois de peine à la retrouver, et quand je l’ai retrouvée, je l’avais toujours possédée, alors, ce qui a tinté en moi, c’était l’écho d’une poésie envolée, la poésie que tous avaient répété dans la folie du jour, le retour d’une appartenance à toi à toi à toi à toi dans tous les puits et sur tous les ponts, car si la poésie est l’art du son et que le son est la couleur d’un événement, la poésie dit l’événement qui précède l’événement, et nous sommes le pont nécessaire de l’événement à l’événement, le désir de la flûte d’être roseau, ses racines mouvantes, sa douceur et sa perte quand enfin elle allonge le corps dans le silence végétal