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Google Ngram | l’activité sismique des mots
vendredi 3 janvier 2014
De la récurrence de certains mots dans les livres - bien sûr, cela ne veut rien dire. (je pense à ce texte de Genette sur l’usage du vocabulaire de Racine, et de comment la rareté de ces termes possédait en soi une richesse de sens, un système au sein duquel tout trouvait une place par jeux d’échos et de reprises). Mais quand même : comment ne pas être fasciné, quand on met sur une échelle de temps tel mot pour en mesurer l’activité sismique ?
Je découvre ce soir [1] cet outil de Google, évident, simple, et — j’imagine — pas si complexe que cela à mettre en place (même si j’aimerais savoir comment il a été constitué, et s’il enregistre encore) : dans l’ensemble des ouvrages numérisés par les machines, ce ne devait pas être trop délicat à faire. Soit un mot qu’on appelle, et en sélectionnant les bornes du temps, le voir onduler à la surface des siècles selon sa rémanence, ses permanences et ses disparitions, et ses retours.
Mesurer ainsi, oui, l’ondulations sismiques de quelques mots, rêver à certains d’entre eux comme des vies fauchées, d’autres préservées.
Je n’ai pas le goût des mots (rares ou précieux), je l’avoue, le fétichisme du vocabulaire : des mots, je m’en sers comme tout le monde, voilà tout, et ce ne sont que des outils. Je n’ai pas la religion de la langue (morte), j’aime quand elle est portée à son plus haut, mais en raison de l’intensité, et non pas à cause de la langue elle-même. Et je me méfie quand je crois lire, dans le choix de tel mot, une préférence du mot et non de la chose, de la vie qui bat en lui.
Mais il y a des mots qui justement parce qu’ils portent en eux davantage qu’eux sont des signes, et des traces : signes d’un système qu’ils traversent et incarnent ; traces d’un usage qui témoigne que la vie passe aussi, par certains d’entre eux plus fragiles ou plus féroces, qui résistent.
Et si écrire c’est aussi le faire contre les mots, c’est avec eux qu’on les travaille, non pour les faire avouer je ne sais quelle vérité, mais parce qu’on espère (on croit) que par eux quelque chose advient qu’on ne savait pas — et ce qu’on dépose (nous qui tâchons lentement et simplement de déposer des mots en raison de la vie dehors qui appelle) c’est tout un trajet, je le mesure.
L’activité sismique des mots (mesurer ici depuis 1780, c’est un caprice personnel qui ne regarde que moi), c’est par exemple le mot de dieu, une montagne haute à deux cols, qui descend lentement en pente douce avant de s’enfoncer interminablement vers la mer ; c’est les vagues courtes et précises du mot silence ; c’est la lente montée en puissance de la solitude ; c’est la persistance du sacré ; c’est l’émergence des affrontements ; ou la décrépitude du corps ; c’est la ville qui s’élève au cœur des années 1835, avant de tomber paisiblement ; c’est la fin du monde qui se dresse en pleine Révolution, celle qui fut le commencement du monde ; c’est écrire qui demeure comme un haut plateau, ouvert aux vents.