arnaud maïsetti | carnets

Accueil > FICTIONS DU MONDE | RÉCITS > La ville écrite > La Ville écrite | dégage

La Ville écrite | dégage

vendredi 6 mai 2011

photographies de Ana Vittet

La ville crache en l’air les mots qu’on lui hurle de l’autre côté de la mer —

dégager : 1° Retirer ce qui avait été engagé, donné en hypothèque, en nantissement.

La ville prend au mot l’immensité du cri qui s’échange de pays en pays mais transforme, avec son intuition de ville, sa maladresse de ville, sa splendeur de ville, la hauteur des cris et l’intensité du volume en taille : plus les lettres seraient grandes, se dit-elle, et plus le CRI serait entendu, peut-être —

dégager : 2° Par extension, dégager sa parole, la retirer quand elle a été donnée sous des conditions non remplies, ou bien la tenir. :
"Qu’il achève et dégage sa foi, Et qu’il choisisse après de la mort ou de moi" CORN, Cinna, III — ;

Il n’y a pas à être fier d’un mot, seulement (quoique magistralement) écrit, surtout quand ceux qui l’ont dit, là-bas, le prononçaient devant armes chargées de balles réelles : les balles ici sont fausses, on n’y croit plus vraiment, alors, écrire en grand le mot : non, ça ne suffit pas ; il faut l’écrire en gigantesque, que le mot soit de la taille de l’immeuble, faisant paraître l’immeuble minuscule feuille de pierre pour un texte trop grand à porter —

dégager : 3° Débarrasser, délivrer. "Je ne suis point d’avis De dégager mes jours pour les rendre asservis" RÉGNIER, Sat. III." —

La guerre que fait la ville, tigre de papier quand il s’agit de n’être que feuille blanche où inscrire, sans risque, les avertissements les plus féroces, on la porte en soi, tu le sais bien, et quand tu prends cette photo, éprise du souci du monde autant que de sa défaite, tu voudrais participer un peu aux combats : je le sais : le combat aussi est là, et ce n’est pas le combat —

Dégager : 4° Dégager un soldat, lui faire obtenir, lui donner son congé. "Je vendrai tout le peu que j’ai pour dégager mon fils" MARMONTEL, Mém. II. — ;

Ces images, en passant, on les prendrait pour soi ? à soi-même on nous demanderait de dégager ? ou l’on serait celui qui les prononce ? Comment savoir ce qui intérieurement résonne : peut-être en se posant devant l’immeuble et prendre l’appareil photo, puis rentrer chez soi calmement, et les envoyer, attendre quelle réponse ? —

Dégager : 5° Débarrasser un lieu qui était obstrué. Dégager la voie publique, un passage ; Terme militaire. Dégager une province, en chasser les ennemis, les bandes qui l’occupaient. —,

Dégagements, déplacements : cette phrase de Michaux, à laquelle je repense quand je vois la ville devenir le livre géant qui écrit à sa propre surface l’Histoire présente, de l’actualité vive aux corps qui l’accomplissent :

« Les choses sont une façade, une croûte. Dieu seul est. Mais dans les livres, il y a quelque chose de divin. Le monde est mystère, les choses évidentes sont mystère, les pierres et les végétaux. Mais dans les livres peut-être y a-t-il une explication, une clef. Les choses sont dures, la matière, les gens, les gens sont durs, et inamovibles. Le livre est souple, il est dégagé. Il n’est pas une croûte. Il émane. Le plus sale, le plus épais émane. Il est pur. Il est d’âme. Il est divin. De plus il s’abandonne ».


Portfolio