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Statut juridique du dictateur | « c’est pourquoi j’ai survécu »

vendredi 21 octobre 2011


Cette phrase entendue, relayée, je crois, par aucun média, en février, d’un président africain non-élu mais régnant encore, pour quelques mois encore de guerre civile, avant d’être renversé.

J’ai toujours été prêt à mourir pour mes idées… C’est pourquoi j’ai survécu.

Entendre le silence entre les deux phrases, et comme ce balancement surprend celui qui le dispose ainsi, habilement, silence dans lequel vient se loger toute une vie qui laisse passer sa tranquille horreur, sa certitude de vivant sans d’autre raison que le pouvoir d’être vivant et de décider de la vie et de la mort d’autres vivants ; voir le sourire qui suit cet aveu lâché, comme de toute puissance.

Temps ingrat pour les idéalistes de la survie : tombent les uns après les autres, sous les crachats, les coups de pied, les balles perdues. La survie était comme les idées, provisoire et fragile.

Autre phrase : je découvre ce matin cette évidence : il n’y a pas de statut juridique du dictateur. Le diplomate qui affirme cela s’excuse presque. C’est bien parce qu’un tel statut n’existe pas qu’il est si difficile de les poursuivre. Phrase de poète : quand le mot n’existe pas, la réalité se dérobe. Mais ces diplomates n’ont pas les armes des poètes : personne n’imagine qu’en créant le mot, on créerait avec lui la réalité. Pourtant, les foules nous apprennent que les armes de poète servent encore, oui.

Penser ce jour à quelques images de cette année – dans le désordre : les hôtels assiégés par des loyalistes illégaux où se terrent des légimites hors-la-loi ; trou d’égout où l’on montre par où s’est caché le survivant provisoire des idéaux, écho parfait des piscines d’or et d’argent (littéralement, concrètement) où il vécut ; corde qui retient à peine le pendu qu’on interrompt, alors qu’il chante sa propre gloire, en baissant la trappe ; corps qu’on descend des hélicoptères ; hier, les cris d’hommes lâchés sur une chemise trempée de sang ; et puis, les rumeurs des Places venues jusqu’ici, mouvantes sur nos écrans, foules qui font vibrer la surface des mauvais pixels, secouent les vieilles histoires.

Et la phrase revient de l’homme qui tient le pouvoir comme une arme plaquée or, tant qu’il tiendra l’arme, et parce qu’il l’a obtenu en arrachant l’arme d’un autre avant lui – revient avec elle ses silences, son sourire, et le bruit que je ne connais pas de corps qui tombent par centaines de centaines pour fabriquer de l’histoire.