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Turquie & Syrie | Images de l’effondrement

Tremblements

vendredi 10 février 2023


Ce devait être au milieu de la nuit, sous la ville de Gaziantep ; et le lendemain matin, vers Ekinözü : la terre qui se dérobe, ou tremble, ou s’abat, on ne sait pas vraiment — on regarde les images, et bien sûr, l’effet d’un château de cartes s’impose et fait violence, quand les cartes sont des pierres qui étaient immeubles, villes, pays entiers jusqu’en Syrie.

Les images sont silencieuses et viennent toutes après l’effondrement, mais toutes racontent une histoire, celle de leur effondrement ; elles ont l’allure de ruines récentes, chaudes presque. Les images sont débordées par les pierres en désordre qui cernent partout, envahissent, se répandent. On regarde, on n’entend pas les cris de ceux qui, là-dessous, crient encore, ou qui se taisent, qui sont là pourtant, qui ont renoncé d’appeler et d’attendre, qui attendent autre chose et qui viendra.

On regarde ces images comme une image d’autre chose bien sûr, ce qui tombe, ce qui s’effondre autour de nous, on ne le perçoit que lentement, parfois sournoisement, insidieusement, on en mesure de loin en loin la portée, la violence, mais par échos. Le monde effondré s’effondre pourtant parfois d’un seul coup et d’un tenant s’abat sur ceux qui dorment, qui n’ont pas eu le temps. Ceux qui ont eu le temps sont dehors désormais, mal vêtus dans le froid de février, avec tout autour d’eux leurs villes éventrées.

La secousse s’est ressentie jusqu’au Groenland ; le monde entier s’est retourné comme dans sa tombe où il a jeté à lui des milliers, des centaines de milliers. On ne comptera pas les disparus, ceux qui déjà avaient vu s’effondrer dans la guerre toute la réalité possible ; les disparus ont disparu une deuxième fois — ces prochains jours, on ne parlera que des miracles, des enfants arrachés aux décombres, des femmes qui survivent trois jours sous quinze étages rassemblés sur leur corps, des vieillards qui ont trouvé un peu d’air sous dix mètres. Il y aura les autres, les disparus, les enfouis.

Le monde effondré sous lui-même, insecte retourné d’un simple geste, des efforts de mille ans soufflés en quelques secondes — nous, face aux images, immobiles, interdits, miraculeusement préservés des cris, du silence dans les cris.


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