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Aut viam inveniam aut faciam (un trajet)

vendredi 14 février 2014


Pour me souvenir de ce jour, je n’ai rien d’autre : quelques images prises à la volée du ciel, en passant vite entre deux portes, deux heures, deux moments où la ville s’ouvre et où je m’engouffre, je crois que c’est cela : une brèche.

Je suis la brèche elle-même, et le mouvement en elle, et la force d’en retenir quelques fragrances, quelques épars dans l’étoilement des choses, la lapidation des regrets, et sur tout cela pèse comme le sentiment de ce qui passe, et ne reviendra plus, et pour cette raison même : rendre grâce et se tenir prêt pour ce qui bientôt va passer de nouveau, d’autres violences si douces, des colères aux frondaisons de soi, des épaisseurs de signes, des voix qui ne se taisent pas en soi pour dire : je ne me tais pas en toi pour ne pas te perdre en route ; reviendra à la route de te disperser.

Cette phrase en latin qui dit : je trouverai le chemin ou je le percerai.

Je suis déjà la brèche, je suis le mouvement dans la brèche, je suis ce qui passe dans la brèche, je suis quelque part où je ne peux distinguer la brèche de ce qui coule en elle, comme des larmes, mais sans larmes, ce qui se répand dans le soir où je vais moi aussi pour rejoindre quelques ombres qui s’éloignent.

Je ne me souviens rien du jour mais quand je regarde sur l’appareil, quelques traces font signe d’une direction prise, d’une présence étrange, persistance d’un regard qui me regarde ; je les dépose ici pour m’inventer des souvenirs, je le sais bien.

Je les dépose ici parce que je suis incapable de faire autre chose : écrire sous ces images la légende minuscule qui ne parvient jamais à raconter d’autres histoires que celle-ci dans ces pages, où le jour est une image et quelques phrases sans mémoire qui inventent les territoires où je crois la vie possible.

l’autre nom

c’est peut-être un autre encore ; les livres jetés ce matin — l’anti-oracle, les pages qu’on ouvre au hasard pour se lire ; ici couvertes de pluie et de poussière, de terre, traces de pas, rien.

le miracle

des bourgeons déjà lancés dans le jour ; je m’arrête longuement, je regarde ; je finirai par être en retard à mon cours ; quand je repasserai, l’arbre aura continué de pousser encore, et encore, par le bas et par le haut, infiniment minuscule, comme des cheveux sur son désir et rejetés en ailleurs sur le corps prêt à être enveloppé par le désir qui s’avance sur lui pour le mordre doucement, lentement, plus lentement encore, les terminaisons de l’arbre comme une force avance sur le terrain, gagne davantage d’espace sur l’occupant, finira par tout recouvrir, je m’en vais et presse le pas, je suis encore en retard pour mon autre cours.

le sud

on peut voir la mer d’ici, on peut la toucher (suffit de le rêver suffisamment) ; entre, l’escalier en colimaçon monte nulle part, et le soleil descend

le nord

des yeux je touche la route, et je l’emprunterai bien, remonter vers la Ville parfois, mais cette lumière.

Une merveille,

d’une beauté sans limites. Je ne verrai pas le film, mais près du cinéma, dans la foule, un couple s’enlace.