arnaud maïsetti | carnets

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ces enfants qui n’ont pas vu la lumière

dimanche 19 juin 2011


« …alors j’aurais du repos, avec les rois et les conseillers de la terre qui se bâtissent des solitudes, ou avec les princes qui ont de l’or, qui ont rempli d’argent leurs maisons, ou bien, comme l’avorton ignoré, je n’existerais pas, comme ces enfants qui n’ont pas vu la lumière ; là, les méchants ont cessé leur tumulte, et là ceux dont les forces sont épuisées par la fatigue sont en repos ; les prisonniers demeurent ensemble tranquilles, ils n’entendent pas la voix de l’exacteur ; là sont le petit et le grand, et le serviteur libéré de son maître »

Livre de Job (3:17-19).


Du repos, impossible. Impossible de s’arrêter, d’envisager la situation, de mesurer les distances. J’imagine que c’est pourtant nécessaire. J’imagine que ce serait salutaire. Mais impossible, évidemment. Ces derniers jours, impression que ce n’est tant moi qui change de villes, mais les villes qui défilent ; et le vent.

Du nord au sud, puis au nord de nouveau. Alors cela devait arriver : la jambe droite aujourd’hui, qui lâche (un peu). Manière qu’a le corps de dire — assez. (Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps  ?). Manière qu’a le corps pour immobiliser l’esprit : le maintenir à sa merci — je voudrais bien demander grâce, mais grâce de quelle douleur ? Je ne sais même pas où la douleur commence (dans le genou, plus bas, plus haut ?). Elle termine dans le crâne, cela est sûr.

Dix jours que je ne suis pas rentré chez moi —il y a bien quelque part, pour chacun, un chez-soi inhabité. Le mien est peut-être — quelque part — ce dehors sec et froid. J’aimerais tant dire je suis parti avec le vent, je suis le vent. Mais le vent intérieur me souffle au visage : je ne pars pas ; sur le côté, la ville change, et moi, au milieu, suis l’instrument qui permet au vent de les éparpiller.

Mes semaines sont comme une forêt sans issue, hors la lumière que laissent passer les branches là-haut. Quand le vent est fort, la lumière perce davantage, mais l’ombre s’agite aussi plus rapidement. La forêt est dense, le chemin a disparu. Ce doit être par là. Comment savoir ? Je me fie à la lumière, et la lumière traverse le ciel plus vite que le jour. Ce doit être par là cependant. Oui, ce doit être par là, dit la voix en moi qui lance, le genou brûle, la jambe traîne, mais la voix continue, ce doit être par là, alors je marche droit devant moi : ce doit être par là.