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comment rejoindre ?

jeudi 23 décembre 2010



Big Jet Plane (Angus & Julia Stone, ’Down The Way’, 2010)


« Il lui sembla que le creux qui se faisait en lui pour la joie ne se remplissait pas : il ne restait qu’un sentiment de sécurité neutre et un peu abstraite, qui était sans doute le bonheur de retrouver Irmgard. Il essaya de se pencher par dessus la barrière en s’accoudant plus haut ; il sentait son genoux heurter les croisillons de métal. « Comment la rejoindre ? » pensait-il, désorienté. »

Julien Gracq (La Presqu’île)


Image tenue à bout de bras tendus à travers les barreaux du jardin, essayant d’agripper un peu de la trace de ce matin-là, matin plus blanc que le gris sale du jour au-dessus des toits. Jour blanc sur le Jardin du Luxembourg, mais la grille est fermée : dans le froid, on reste un peu au-dehors, étonnés, désœuvrés, on regarde malgré tout, l’étendue pas encore foulée de poussière blanche sur le sol qu’on ne voit pas, nulle part. Il serait tombé tout cela dans la nuit ? On s’était dit les jours précédents, avec du mépris et de l’incompréhension, que le monde devait être bien pauvres en nouvelles pour que les journaux ouvrent tous sur ces histoires de pluie et de beau temps — et pourtant, impossible de ne pas s’arrêter sur ces images : ville qui a disparu sous quelque chose de liquide et froid, qui s’est changée en une autre ville qu’on reconnaît comme son masque mortuaire, surface, dépôt, projet futur d’une réalité impossible.

Les faunes du Parc que Verlaine avait chantés sont là encore, mais comme issus d’un autre décor, font vibrer tout ce qui les entoure avec une présence différente ; il n’y a pas de vent. Quand on fera le tour du Jardin (salut aux éditions José Corti) fermé sur toute la surface, les yeux toujours portés sur les surfaces blanches du parc, on aura une impression désagréable, comme un agacement sans objet. On réalise au bout d’un moment la nature du renversement. Ce n’est pas le Parc qui est enfermé entre ses grilles, mais nous dehors qui sommes prisonniers dans la ville. Lorsqu’on finira par rentrer, on remontera la rue Souffot : il n’y a plus que de la boue sur la route, et plus de neige, seulement des traces de pas sur les trottoirs.