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corps délié

mercredi 20 février 2019


Il existe en nous plusieurs mémoires : le corps, l’esprit, ont chacun la leur, et la nostalgie est une maladie de la mémoire physique.

Balzac



C’est trembler : et dans le tremblement, ce qui reste immobile bouge encore, tremble sur place. C’est trembler, ce bougé des choses par quoi on est traversé. La lune est une image – mais de quoi ? Pas d’elle, évidemment. De mon regard sur elle. Toi tu le sais.

Du corps tremblé, ses mouvements nés de l’intérieur du ventre – vers le corps déplié, vers le corps soudain arraché à lui-même, le corps qui serait le prolongement du corps, les mains non plus attachées à lui, mais liées comme à un centre en mouvement. Le corps délié enfin. Contre le corps délié frotte le corps en tension encore, en contrôle : frottement auquel je me frotte, un chat contre les parois de cette vie.

Trembler, c’est aussi devant ce qui bouleverse, reconnaître qu’on tremble aussi en accord avec ce qui tremble. Impossible de saisir la lune, seulement son tremblement qui est peut-être le mien, à cause du froid, de la peur, de ce qui n’a pas de nom. On dépose l’image comme on dépose un roi : pour en finir et trouver des forces pour être dépossédé de tout.

Ceux qui fabriquent des images, des peintures, des sons – peut-être surtout ceux-là – savent bien que le tremblement est la matière, pas du tout ce contre quoi il faut lutter. Dans la lutte, le tremblé sauve : il permet le jeu trouble du désir et des colères, ce jeu qui est le centre vide à partir de quoi toutes les pièces autour bougent, remuent, déplacent les perspectives. Dans les voix qu’on entend, le tremblement des lèvres, la fragilité d’une hésitation, et dans la phrase, tout ce qu’on entend du tremblé recouvre le sens du mot : ce qu’on veut dire s’affirme dans ce creux des choses où tremble un autre langage, celui du corps.

Délié, le corps paraît possible : pourrait être libre. Un autre langage, celui dans la calligraphie qui alterne les pleins et ces déliés qui sont autant de respiration. Délier le corps : rendre possibles les regards, enfin : rendre possible de se taire et de se comprendre, rendre possibles les nuits quand la lune pleine à craquer laisse la place à des corps et leurs regards posés sur ce qui face à eux les lie.


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