arnaud maïsetti | carnets

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dans le désir et la volupté

mardi 4 janvier 2011



Sorrow (The National , ’High Violet’, 2010)



L’HOMME : continue, faisant un geste en direction des tombes
ce ne sont pas des bêtises
ils ont vécu
et maintenant ils sont là
maintenant ils sont morts
maintenant il ne reste plus rien
de la plupart d’entre eux
bref silence
ils n’étaient rien
rien du tout
puis il y a eu deux êtres humains
qui
allez savoir comment
dans le désir et la volupté
en tout cas
oui il y a eu deux êtres humains qui
il s’interrompt, regarde une tombe
peut-être y-a-t-il eu un homme qui a pris
la mère de celle-là
dans un cimetière
peut-être dans ce cimetière
ici
c’est ainsi qu’elle a été conçue
LA FEMME
Dans un cimetière
toi alors

Jon Fosse (Rêve d’automne, 1999)


Dans les cimetières, il y a l’air qui traverse d’une allée à l’autre et le silence que font les pas autour et quelques pierres ; des noms mais on ne les lit pas. Dans le cimetière des Chartreux, construit sur le couvent, il y a des mouvements de terrain si longs qu’on a l’impression que tout est en montée et quand je fais l’aller-retour j’ai l’impression d’avoir gravi deux fois une petite colline.

Je n’y amène pas l’appareil photo ; pour passer de cet endroit de la ville à l’autre, le cimetière est sur mon chemin : plutôt que de longer le tram dans ces longues avenues de bureau (ils ont construit le poste de police en face de la bibliothèque), ces grandes tranchées d’immeubles de verre, je coupe par le cimetière ; ce ne doit pas être un lieu seulement laissé pour ceux qui viennent pleurer un mort.

Dans les arbres, le vent qu’on entend est le même, et derrière les murs, les voitures aussi. Mais si je me pose pour écrire mentalement ce que je vois, je ne viendrai pas à bout de la première phrase car il me faudra parler de ce que je ne vois pas, les morts, dans le sol, dont je ne connais aucun visage.

Alors, je me lève rapidement, et j’évite leurs regards sur moi, je veux dire : en moi. Quand je sors par la grande porte, le vent est le même encore, et les arbres, et le bruit des voitures, mais j’ai le pas plus rapide et le crâne chargé de phrases impossibles que je n’écrirai pas.