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du jour des morts et de la nuit des vivants

mercredi 1er novembre 2017


Nous allâmes ainsi jusqu’à la lumière / en causant de choses qu’il est beau de taire, / comme il était beau d’en parler alors.

Dante, La Divine Comédie

Éric Miller, Dreaming with the Dead, (Dia de Los Muertos, 2014)


Un peu avant midi, le type sonne : j’ouvre : je m’appelle P***, et en ce jour des morts, je voudrais vous parler de la résurrection de la chair.

Avec le changement d’heure, je vois désormais la nuit tomber sous mes yeux : entre vendredi et mardi, cette heure perdue a fait basculer le jour – dix-sept heures trente, mon heure pour sortir, voir le ciel et la mer, et c’est l’heure où désormais tout s’efface. Ça a commencé, la fin.

Le vent, dimanche, et lundi : rien ; et ce matin, rien. Désormais, ce qui est étrange, c’est l’absence de vent. Le vent est l’état naturel du jour pour moi, désormais. Désormais, c’est le mot de ces jours, avec celui de vent et d’arbres, et de nuit.

Lecture de Dante ces derniers jours, pourquoi ? J’avance dans les Enfers, lentement – et je traverse le Purgatoire, j’y reste longtemps : le Purgatoire est de l’espace, du temps devenu de l’espace, je relis plusieurs fois les images, les soupirs, les durées, je m’y confonds.

La fatigue : la nuit de mardi à mercredi, travailler jusqu’à deux heures, se lever à cinq - et toute la journée la passer comme devant soi, ou autour de soi les silhouettes qui s’agitent, et le corps en suspension, et les rêves entre soi et le monde. Des nuits blanches de mes vingt-deux ans, je me souviens leur pesanteur et leur légèreté, la brume, la joie ivre et lente – j’ai traversé tout le jour comme on marche sur le point de tomber et qu’on ne tombe pas.

Jour des morts, nuits pour les vivants, pensais-je, au réveil, et qu’il faisait encore sombre dans l’aube et dans l’époque. Et immédiatement je songeais aux cadavres qu’on s’apprêtait à déterrer au Mexique et à l’alcool répandu sur la terre des cimetières, aux chants de joie, aux lacs au bord desquels il faudrait être enterré pour ne jamais mourir que vivant.

Une métaphore de la mort ? Je me fous de la mort. Comment peut-on faire la métaphore de ce qui est la négation de tout ?

B.-M. Koltès


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