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garder le silence
lundi 14 décembre 2009
Mon rôle (dit-il) c’est, en face de celui qui parle, de garder le silence : pas pour l’enfermer en moi, mais (il hésite, il cherche), comme un berger garde ses moutons. En fait (finit-il par lâcher sans regarder la caméra), mon rôle, c’est de garder le silence pour l’autre, le silence de l’autre.
Quand il est deux heures, le soleil mord sur le bord de la fenêtre ; à trois heures, il est largement levé au-dessus des toits et se plaque contre la surface sale des vitres ; à quatre heures, la lumière se pose presque à l’horizontal, je commence à mesurer le temps à cette échelle-là, elle en vaut bien une autre, cette échelle, elle organise le travail, bat la mesure.
Cadran solaire tracé dans la poussière ; c’est la montre au poignet de l’appartement : elle en vaut bien une autre.
Quand il est cinq heures, je ne vois plus mes doigts qui tapent dans le soir ; à six heures, on lève les yeux sur la ville et on ne voit que les lumières aux fenêtres des bureaux.
Des pages accumulées ces dernières jours, des pages écrites dans la poussière de ces jours, ne rien penser qui pourrait les juger : de l’accumulation du jour sur ces pages, du jugement qui pourrait les défaire dans l’instant, les réduire à plus néant que poussière, ne retenir que la verticalité plus ou moins tenue de lumière, à bout de bras, dans les mots.
Le récit qui s’écrit n’est pas plus étranger à la poussière qu’au silence que je garde pour lui, en moi.
Mon rôle, quand j’écris, c’est de garder le silence du jour dehors, de l’écrire ; et je compte le silence comme un berger. Je ne veux pas penser à la terreur qui me saisirait s’il m’en manquait un seul. Du silence dont j’ai patiemment rêvé les naissances, élaboré lentement la généalogie et la mort, je reste le gardien ; j’ai charge d’âmes.