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Jrnl | Cette nuit d’hiver

[23•12•22]

vendredi 22 décembre 2023


Il nous a connus tous et nous a tous aimés, sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, — ses souffles — son corps, — son jour.

Rimb., « Génie » (Illuminations) [1873 ?]

Tout a recommencé de finir ce matin – cette nuit –, à 4h27, quand à cette heure (et en ce lieu) le soleil revint (mais d’où ?) et, ayant atteint ce point ultime de disparition, décida — provisoirement — de revenir, et l’équilibre des jours et des nuits ainsi rompu, la vie reprendrait peut-être, l’illusion d’un retour : non, on sait que c’est autre chose, que c’est leçon, grande et haute, celle qui dit (outre l’effacement soit ma façon de resplendir) que la nuit est la condition du jour, que le jour revient seulement s’il a éprouvé de la nuit sa plus grande menace, que ce moment précis de plus puissante rétraction est aussi celui de l’appui vers la lumière la plus pure de juillet : que nous sommes lancés vers juillet à la seconde même où le froid perce le plus profondément en nous — d’ailleurs, le vent n’a jamais été aussi terrible que ce matin où le matin déjà allait gagner quelques secondes sur la nuit, à peine de quoi voir venir, et le ciel était bleu, comme la plaie sur le cadavre, et comme si le cadavre soudain ouvrait les yeux, et criait.

Ô terreur : ne dormir que vers deux heures et se réveiller chaque seconde (c’était l’impression), se dire : de n’avoir pas su trouver les mots — mais les mots avaient fui eux aussi et me rendaient plus lâche encore de les chercher en moi —, de n’avoir pas su dire ni regarder en face (le soleil ni la mort, mais pas seulement) : et c’était évidemment la veille du solstice hier, aucun hasard : seulement de la solitude terriblement répandue devant moi avec s[m]es visages muets, et le bruit de la porte qui se referme, les pas qui s’éloignent.

Je récite en moi-même les mots

Rimbaud, « Génie »

mais dire les mots suffisent-ils pour qu’ils disent ce qu’ils portent en eux, je ne sais pas : les mots de courage, de dignité, d’intelligence, les mots de solitude : les mots qui serviraient comme des mains dans le noir de la grotte pour avancer, les mots qui seraient du sang aussi au bout de mes mains éraflées par les ours peints, les loups, les sexes, les mots qui seraient des bêtes cachées dans l’angle mort, les mots qui parviendraient à dire la profondeur des rues de Babylone et le silence qu’il faisait le lendemain de sa chute, les mots qui diraient cela et tout le reste rien qu’en disant ce qu’il faudrait dire pour que la ville ait lieu et avec elle la vie entière qui déjà, comme la bête que rien n’apprivoisera jamais, s’éloigne quand on l’appelle avec des larmes.