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Jrnl | Puisqu’il est trop tard

[14•03•23]

mardi 14 mars 2023


Agissons maintenant, puisqu’il est trop tard

Extinction Rebellion, Slogan


La bête la plus sauvage que j’ai jamais croisée est sans doute un insecte (je ne parle pas du cri du coyote qui se trouvait peut-être de l’autre côté de la forêt, ou dans un autre monde) — quand on ne peut pas nommer ce qu’on voit, on bascule vraiment dans la terreur à laquelle répond le besoin de destruction, pour d’un coup de talon anéantir toute vie, être soi-même l’envers de dieu : c’est cela qu’inspire l’innommable ou le monstre — même de la taille d’un ongle —, et ensuite regarder lentement le sang sur soi sécher déjà, devenir cette matière inutile, pas différente de mon propre sang, du sang du premier homme déchiré par la première bête sauvage venue.

Dans les trajets entre Marseille et Aix, ce n’est que récemment que j’ai compris que ce bâtiment entr’aperçu dans cette légère courbe en pente niché sous la plaine entre les villes était le centre pénitentiaire de Luynes : la nuit, les lumières dessinent les contours d’un vaisseau perdu dans les champs ; maintenant, je sais, et je ne manque jamais plus ce regard à gauche quand je monte vers Aix, ou à droite quand je redescends à Marseille : ce regard vers les murs d’enceinte, les corps invisibles, les paroles là-bas qui se disent et se perdent, le temps qui passe, et ne passe pas.

Je lis que le sud du Québec a perdu en janvier « une semaine de soleil comparativement à d’habitude » : : dans le grand mouvement circulaire que la lumière fait tourner, est-ce que cette semaine va revenir, et sous quelle forme, ou est-elle perdue corps et âme, et biens ; est-ce que cette semaine a eu lieu ailleurs, mais où : et pendant ce temps, « l’hiver fut gris et ombrageux », déplore le journaliste, et je rêve devant ce mot d’ombrageux qui ne peut désigner pour nous autres de ce côté de la grande flaque, que le sentiment d’un animal craintif, qui redoute son ombre ou tout ce qu’il ne connaît pas.