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Jrnl | Seul est vrai le présent, ce désert

[28·06·23]

dimanche 28 mai 2023


Mais où sont-ils passés, les siècles et les rois ?
Et l’herbe exterminée aux sabots du barbare,
Et les sabots exterminants ? Et la cithare
Héroïque, et l’arbre d’Adam, et l’autre Bois ?
Seul est vrai le présent, ce désert. La mémoire
Bâtit le temps. L’horloge et le calendrier
Ont la succession et le dol pour métier.

Borgès, L’instant


Comment vivre dans un monde qui existe si peu ? — on posait dans le journal cette question à Borgès qui répondra à peine, ou comme le monde existe : et la dette est payée ; c’est ainsi : le ciel s’efface, les hommes disparaissent, les rêves s’éloignent, les désirs les uns après les autres semblent moins précis, les luttes seules demeurent avec leur férocité têtue, toujours plus âpre comme si elles refusaient de singer la réalité et sa façon de passer, effet Doppler garanti — alors dans ces jours de peine, s’y tenir encore : non comme on tient la promesse qu’on s’était faite, enfant, mais comme au sommet du col dans le vent terrible, la main agrippe encore la pierre, et qu’on ferme les yeux, qu’on va tomber, qu’on ne le fait pas encore, que l’être est tout entier la main serrée sur la pierre et que le vent redouble.

Derrière moi, douze heures de train ces quinze derniers jours et pour la semaine qui vient, douze autres : il y aura une vie de Müntzer à traverser en même temps que la campagne profonde, la chute de Nabonide, des rêves de Babel par Borgès et inversement, il y aura Kae Tempest et la rage de transmettre, des courriers en souffrance, des nuits au sommeil approximatif, des façons de chercher des yeux la lune si elle existe.

Il est dix heures du soir et ce sera donc la dernière fois dans cette existence terrestre que le vingt-huit mai deux mille vingt-trois passera, il l’aura fait comme en travers de la route qui n’aura mené qu’ici, j’aurai regardé sur les bas-côtés avec l’impression d’être observé par une bête sauvage prête à se jeter sur moi.


L’année est simulacre aussi bien que l’histoire.
Entre l’aube et la nuit un abîme d’efforts
S’ouvre, et de soins et de lumières et de morts ;
Faussement il se croit le même, ce visage
Qui se cherche aux miroirs fatigués de la nuit.
Pas d’autre ciel, et d’autre enfer pas davantage,
Que la mince seconde à tout jamais qui fuit.